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De l’école des Frères à l’école de Jules Ferry…
La situation scolaire en 1870
Nous avons vu que l’enseignement public[1] existe à Vauxrenard depuis 1834. Tout d’abord laïque, il est ensuite dispensé par deux congrégations religieuses : les sœurs de l’ordre de Saint-Joseph pour les filles (depuis le 9 août 1840) et les frères de l’ordre de Saint-Viateur pour les garçons (depuis le 15 février 1852).
Fait remarquable, cet enseignement est gratuit pour les garçons, suite à la décision du Vicomte Camille de Saint-Trivier, châtelain du Thil, de soutenir financièrement cette école ; proposition entérinée par la municipalité le 19 mai 1852. Le 15 février 1862, dix ans plus tard, cette gratuité est cependant supprimée. L’absence de participation financière des parents à l’enseignement des enfants entraînait, de façon paradoxale, un absentéisme très important des élèves. Mécontent de cet état de fait, le Vicomte de Saint-Trivier, alors maire de Vauxrenard, instaure à nouveau la rétribution des cours.
Les modalités de cette rémunération scolaire sont redéfinies chaque année par le conseil municipal. À titre d’exemple, voici la délibération à ce sujet de l’an 1868 :
« L’an mil huit cent soixante-huit et le 16 février, le conseil municipal de la commune de Vauxrenard étant réuni sous la présidence de Monsieur le Maire pour la session ordinaire de février. Présents MM Depardon, Descombes, Savoye, Burgaud, Mathieu, Descombes, adjoint Barrat, Morin, Frachet et Vicomte de St Trivier, maire.
Monsieur le maire a donné connaissance des dispositions des lois et décrets des 11 mars 1860, 7 octobre et 31 décembre suivants, 19 avril 1862 et 10 avril 1867, relatifs aux dépenses de l’instruction primaire ; il a invité le conseil à délibérer sur les dépenses et sur les moyens d’y pourvoir pendant l’année 1869. Le conseil municipal après avoir délibéré a pris successivement les décisions suivantes :
il propose, comme suit, la fixation du taux de la rétribution scolaire, savoir :
1) élèves payants, garçons et filles :
- 1ère catégorie de 3 à 7 ans : 1,75 F par mois ou 10 F par an
- 2ème catégorie de 7 à 10 ans : 2,25 F par mois ou 12 F par an
- 3ème catégorie plus de 10 ans : 2,75 par mois ou 15 F par an
2) élèves gratuits
À un franc par mois de présence à l’école (taux unique) la rétribution à allouer à l’instituteur et à l’institutrice à titre de traitement éventuel en exécution de la loi du 10 avril 1867 art. 9 et 10 pour chacun des élèves reçus gratuitement aux écoles communales.
Il a arrêté les dépenses des Écoles primaires communales pour 1869 comme ci-après :
1) école primaire spéciale de garçons
- traitement fixe de l’instituteur 200 F
- rétribution scolaire 400 F
- traitement éventuel 100 F
- Traitement de l’instituteur adjoint 400 F
- Total pour l’école des garçons 1 100 F
2) école spéciale de filles
- Traitement de l’institutrice 200 F
- rétribution scolaire 300 F
- traitement éventuel 100 F
- Total pour l’école des filles 600 F
Cet acte de délibération est intéressant à plusieurs titres. Il nous renseigne tout d’abord sur le nombre d’enfants scolarisés à cette époque : il en faut une cinquantaine par établissement pour obtenir le budget annoncé de la rétribution scolaire versée aux enseignants. En fait, il semble que ces chiffres soient un peu sous-estimés. Dans « L’État de la France par cantons et par communes » de Théodore OGIER datant de 1850, il est recensé 60 élèves à l’école de garçons et 70 à celle des filles pour une population totale de 1025 habitants.
Notons enfin que la gratuité pour les enfants indigents n’était pas totale, puisqu’ils devaient tout de même payer 1 F par mois de rétribution à l’instituteur.
Le nombre des élèves ne cessera pas d’augmenter les années suivantes. Il est dénombré 68 élèves indigents en 1877 et la classe des garçons comportera l’hiver de cette même année plus de 90 élèves ! Les enfants de Vauxrenard vont à l’école et les classes sont saturées…
La politique scolaire de 1871 à 1889
Afin de bien saisir l’importance des faits qui vont suivre il est nécessaire de se replonger dans le contexte politique de la fin de l’Empire et de la naissance de la IIIe République. Suite à la défaite de Napoléon III et à la proclamation de la république en 1871, l’ordre des choses dans le domaine de l’instruction va brusquement se transformer. Ces transformations ne deviendront cependant réellement importantes seulement à partir de 1879, avec la nomination de Jules Ferry au ministère de l’instruction publique.
S’instaure alors un violent affrontement d’idées entre le clergé qui prit une part active à la lutte contre la république et la conception laïque de la société portée par les nouveaux dirigeants du pays. Le débat porte surtout sur la question de l’enseignement. Dans l’esprit des républicains, le droit, et même le devoir de s’instruire ne pouvaient être garantis que par l’obligation de recevoir une instruction élémentaire, où que ce fut : dans une école publique, privée ou à domicile.
À l’école publique, celle du plus grand nombre, l’obligation impliquait la neutralité confessionnelle ; en d’autres termes, la laïcité. En classe, la prière, le catéchisme seraient remplacés par la morale et l’instruction civique. Tels sont les principes qui reçoivent force de loi le 28 mars 1882. Il était inévitable que l’église et les milieux religieux réagissent avec virulence contre « l’École sans Dieu » : quelle valeur, quel sens même pouvait avoir une morale dissociée de la religion révélée ? Ferry objectait, en vain, qu’on enseignait « la bonne vieille morale de nos pères, la vôtre, la nôtre, car nous n’en avons qu’une ».
Mais le nœud du conflit était ailleurs, l’école publique devait-elle continuer à former des Chrétiens ou bien avoir pour objectif de faire accéder le plus grand nombre à l’autonomie critique ? Ferdinand Buisson qui fut, à la direction de l’enseignement primaire, le bras droit de Jules Ferry, déclarait en 1903 : « pour faire un républicain il faut prendre l’être humain et lui donner l’idée qu’il faut penser par lui-même, qu’il ne doit ni foi ni obéissance à personne, que c’est à lui de chercher la vérité et non pas à la recevoir toute faite d’un maître ou d’un directeur, quel qu’il soit, temporel ou spirituel ».
École de la foi et de la tradition ou école de la science et du libre examen reléguant les croyances dans la sphère privée : l’antagonisme était alors irréductible. Quel que fût le ton des polémiques, pouvait-on faire l’économie de ce débat de fond ?
L’évolution de la situation à Vauxrenard
En 1871, la situation est claire. L’enseignement à Vauxrenard est religieux et semble devoir le rester. Fortement soutenu par le Vicomte de Saint-Trivier, à la fois châtelain du Thil et maire de Vauxrenard depuis le 10 octobre 1852, la situation semble stable. Une délibération du conseil municipal du 31 août 1871 confirme cette vision.
Invité par le sous-préfet à délibérer sur l’appartenance laïque ou religieuse de l’école, le conseil décide : « considérant que Monsieur le Vicomte de Saint-Trivier fournit depuis de longues années gratuitement le local nécessaire aux salles de l’école et au logement des frères ainsi que la somme annuelle de 400 F à la condition que l’école soit dirigée par des religieux, le conseil prenant en considération tous ces avantages tant sous le rapport de l’enseignement que de celui de la bonne et saine morale si nécessaire à la jeunesse, émet le vœu que la direction de l’école de Vauxrenard continue d’être confiée à un ordre religieux. » signé : Patissier, Mathieu, Dailly, Ducrozet, Descombes.
En 1872, le Supérieur Général des Clercs de l’Ordre de Saint-Viateur, renonce à l’école de Vauxrenard. La municipalité maintient cependant son souhait de voir l’enseignement assuré par des frères de cet ordre.
Quelques années plus tard, Monsieur de Saint-Trivier fait don de la maison du Pèlerin à la municipalité en ces termes :
« Monsieur le Vicomte de Saint-Trivier expose que le 23 novembre 1875 il a fait par-devant Maître Durand, notaire à Juliénas et en présence de MM Antoine Mathieu et Jean Marie Ruet une donation à la commune de Vauxrenard :
1) en propriété de la maison dite du Pèlerin pour servir d’école et de mairie,
2) de la jouissance, tant que l’école sera tenue par des institutions religieuses catholiques, du jardin situé sous la maison et d’une rente annuelle de 400 francs pour l’entretien d’un instituteur adjoint.
Le conseil exprime approuver avec reconnaissance purement et simplement la donation de M. le Vicomte de Saint-Trivier et pour être le fidèle représentant de la commune, il vote à l’unanimité ses plus sincères remerciements à leur généreux et leur bienfaisant donateur« . Signé : Patissier, Mathieu, Dailly, Mélinand, Burgaud, Descombes, Meunier, Barrot, Ducrozet, Frachet, Perraud, de Saint-Trivier, le 6 février 1876.
Mais les classes sont surchargées et l’état des locaux cédés par M. de Saint-Trivier n’est pas bon, aussi le conseil municipal désigne le 18 février 1877 trois experts pour proposer un projet de réparation pour les salles de classe et le logement des instituteurs. MM Patissier, Dailly et Frachet sont désignés pour cette tâche, estimée urgente. Le 1er juillet 1877, le conseil municipal accepte la proposition de réparation de la commission et demande une subvention au conseil général :
« considérant que le devis s’élève à 1 200 F, considérant que toutes les réparations qui y sont stipulées sont d’une nécessité incontournable et qu’il n’est pas possible de réduire le chiffre, considérant que toutes les ressources de la commune s’élèvent à la somme de 600 francs, considérant que la commune s’est imposée extraordinairement depuis 1852 pour son réseau vicinal, et qu’il est loin d’être achevé, le conseil municipal prie le conseil général de bien vouloir lui allouer et faire allouer par l’état la somme de 600 francs pour la réparation à la maison d’école de garçon de la commune ».
Mais le 28 octobre de la même année la situation se retourne brusquement ; une assemblée constituée du conseil municipal et des propriétaires les plus imposés de la commune refuse le financement des réparations prévues par la commission : « le conseil municipal et les plus imposés mis en demeure par le président déclarent au scrutin secret par 15 voies contre une ne pas vouloir faire les réparations proposées ».
Le Vicomte de Saint-Trivier, demandeur de ces réparations se trouve ainsi brusquement mis en minorité. Il est vraisemblable que ce changement brutal de politique est la cause de sa démission quelques mois plus tard. En effet, le 21 janvier 1878 a lieu une réélection du maire et Monsieur de Saint-Trivier ne recueille qu’une seule voie contre huit pour Antoine Dailly.
Ainsi Le Vicomte de Saint-Trivier, élu maire le 15 septembre 1852, cède-t-il la place à un autre maire après 26 ans de services pour la commune de Vauxrenard. Le mandat d’Antoine Dailly accordé le 21 janvier 1878 fut de courte durée, puisque le 13 mars 1878, Jean Marie Perraud est élu maire à l’unanimité des voies.
Le conflit scolaire éclate encore plus clairement le 17 mai 1878 au cours d’une séance du conseil municipal. Monsieur de Saint-Trivier voulant retirer sa participation au soutien de l’école des frères, il lui est opposé qu’il s’agit maintenant d’un droit acquit dont il ne peut plus se soustraire. Le conseil va plus loin, en accusant Monsieur de Saint-Trivier d’avoir déjà par le passé voulu retirer sa participation et de considérer qu’il en est lui même bénéficiaire, ce qui est manifestement faux ! Le conseil municipal corrigera ces affirmations deux mois plus tard en annulant, à la demande de Monsieur de Saint-Trivier, la délibération en question.
Peu de temps après, à la demande de Jean-Marie Perraud, « le conseil municipal délibère qu’il plaise à monsieur le Préfet de vouloir bien faire examiner par le conseil académique s’il n’y aurait pas lieu d’établir une école gratuite pour les garçons de la commune. »
Ainsi, de façon paradoxale mais cohérente, Jean-Marie Perraud formule le même vœu que son adversaire politique le Vicomte de Saint-Trivier 26 ans plus tôt : rendre l’enseignement gratuit pour les enfants de Vauxrenard. Animés de la même volonté de voir l’instruction se développer pour tous les enfants de la commune, ces deux personnages se distinguaient cependant par leurs convictions, l’un pour sa conception religieuse de l’enseignement, l’autre pour sa foi en l’école républicaine.
François Perraud de La Chapelle-de-Guinchay, dans un manuscrit datant de 1887, écrivait au sujet de Jean-Marie Perraud : « né vers 1837, propriétaire aux Bourrons, maire depuis 10 ans environ, bon, serviable, s’exprimant assez bien, républicain modéré, ayant lutté contre le Sieur de Saint-Trivier et luttant aujourd’hui contre de Saint-Pol son gendre, tous deux châtelains du Thil ».
La gratuité de l’école est officiellement annoncée par le conseil municipal le 7 novembre 1880 dans les termes suivants : « considérant que l’instruction est l’un des plus grands bienfaits, considérant que dans la commune de Vauxrenard l’instruction laisse encore beaucoup à désirer, à cause de la gêne qui existe dans la commune et qui est le principal motif qui empêche un grand nombre de parents d’envoyer régulièrement leurs enfants à l’école, considérant que l’instruction donnée gratuitement à l’école de garçons et de filles produirait un excellent effet et engagerait les parents à donner à leurs enfants des deux sexes une instruction plus étendue, considérant que la commune fait déjà de grands sacrifices pour l’amélioration de ses chemins vicinaux, considérant qu’elle est frappée d’une imposition considérable pour insuffisance de revenus et qu’en raison des mauvaises récoltes elle ne pourrait supporter encore une nouvelle imposition extraordinaire pour faire face aux dépenses de la gratuité, le conseil municipal est d’avis que l’instruction soit gratuite à partir du premier janvier 1881 à l’école des garçons et des filles et propose pour faire face aux dépenses de la gratuité… de prier instamment Monsieur le Préfet de bien vouloir user de sa bienveillante influence pour que la subvention du département soit augmentée en 1881 de 498 francs 65 afin de combler l’excédent des dépenses. Ainsi fait et délibéré à Vauxrenard le 7 novembre 1880. »
En vertu de la loi du 28 mars 1882 instituant l’obligation scolaire pour tous les enfants de 6 à 13 ans, le conseil municipal désigne le 15 mai 1882 une commission municipale scolaire chargée de surveiller et d’encourager la fréquentation de l’école. À notre surprise, sont nommés pour cette commission les trois maires qui se sont succédé à quelques mois d’intervalle en 1878 : Monsieur de Saint-Trivier, Antoine Dailly et Jean Marie Perraud !
Après l’instauration de la gratuité de l’enseignement qui grève de nouveau le budget de la commune, va se poser le lourd problème des locaux scolaires. En novembre 1881, le conseil municipal déclare » considérant que la maison commune actuelle qui sert de mairie et puis d’École de garçons se trouve déjà dans un mauvais état, que les classes qui se trouvent à l’ouest ne sont pas claires et sont humides… propose l’acquisition entière du clos du Pèlerin au milieu duquel se trouve déjà la Mairie et l’école des garçons pour y construire du même ténement l’école des filles et en même temps reconstruire l’école des garçons. »
Nous savons que cette solution ne sera pas adoptée, Monsieur de Saint-Pol, propriétaire des lieux s’y opposera farouchement. Ce problème ne trouvera une solution définitive que 27 ans plus tard, avec la construction de la mairie et du groupe scolaire actuels à l’entrée du village, inauguré le 22 mars 1908.
[1] Jusqu’en 1882, il est admis que l’enseignement public puisse être laïque ou religieux
Daniel Mathieu, 1997