La vie d’une forêt

Comment est née la forêt

Forêt ancienne (Białowieski Park Narodowy, Pologne, Wikipédia)

Les forêts très anciennes sont rares en France. Quelque dizaines de milliers d’ha sur les 17 millions de la forêt métropolitaine. À l’exception des parcelles très difficiles d’accès, la plupart des forêts sont issues du boisement de parcelles agricoles (culture, prairie) abandonnées depuis le minimum forestier daté aux environs de 1850. La forêt ne couvrait alors plus que 10 à 12 % du territoire national contre 31% aujourd’hui. Illustration : sur la commune de Vauxrenard la surface forestière est passée de 200 ha au 19ème siècle à 1200 ha aujourd’hui ! La question qui de pose alors est savoir comment est gérée cette forêt !

Évolution comparée de l’occupation des sols sur la commune de Vauxrenard montrant l’accroissement de la forêt au détriment de l’agriculture au cours des deux derniers siècles

La naissance de la forêt

Comment la nature passe t elle d’une terre agricole à une forêt ?  C’est le déroulement de ce scénario qui est décrit ci-après. Il est observé à partir de l’évolution d’une culture en jachère dans le Haut-Beaujolais, mais peut être adapté partout en France continentale. Il se déroule pendant une période qui s’étale sur un demi siècle.

Stade 1 : partant du champ abandonné, le terrain se couvre rapidement d’une végétation buissonnante constituée de plantes pionnières parmi lesquelles on trouve d’abord, fougères, genêts, ronces et églantiers, puis progressivement des arbustes comme les aubépines, les prunelliers, les acacias…

Stade 2 : ces essences ne durent qu’un temps (10 à 20 ans selon la nature du terrain, son exposition, etc.). Elles sont ensuite progressivement remplacées par une deuxième génération d’arbres de plus grande dimension, mais tout aussi exigeante en lumière comme, les bouleaux, les saules, les merisiers, les sureaux, les noisetiers, les sorbiers…

Stade 3 : dans un troisième temps, sous le couvert de ces premiers peuplements vont progressivement s’implanter des arbres forestiers comme le chêne, le hêtre, le charme, le châtaigner, les érables, le tilleul… pour les feuillus, le sapin, le cèdre ou le douglas pour les résineux. Tout dépendra des semenciers proches et de l’apport des graines par le vent ou les oiseaux. Ce n’est qu’à partir de ce moment que l’on pourra parler véritablement d’une forêt. Ceci peut prendre un demi-siècle, voir plus…

Et ensuite…

Trois parcours classiques sont envisageables à l’issue de ces 3 premiers stades :

  • la croissance de la forêt sans intervention humaine qui évolue vers une futaie diversifiée composée de diverses essences d’arbres, tous de franc pied, c’est-à-dire issues de graines et pouvant à terme donner de beaux fûts, mais il faudra attendre 1 siècle,
  • les arbres sont exploités en taillis pour produire du bois de chauffe ou des piquets avec une coupe tous les 30 ans environ,
  • la forêt est coupée à blanc pour être plantée avec des espèces à croissance rapide : peuplier, douglas, sapin, mélèze, merisier, etc. selon la nature du sol et l’exposition.

Exploitation traditionnelle de la forêt

Jadis les paysans tiraient de la forêt des matières destinées à un usage domestique (bois de brûlage, piquets, bois d’œuvre, charbon de bois), feuillage pour le bétail, châtaignes, champignons…

Traditionnellement, le mode de faire valoir le plus courant de la forêt était l’exploitation du taillis sous futaie : taillis recépé régulièrement pour faire du bois de brûlage ou des piquets (châtaigniers), et futaie clairsemée composée de quelques beaux arbres, abattus à la demande pour faire du bois d’œuvre (charpentes, planches…). Ce mode d’exploitation a quasiment disparu de nos campagnes pour être remplacé par :

  • un abandon de toute exploitation et un non-usage de la forêt,
  • ou le remplacement de la forêt initiale par la plantation d’essences à croissance rapide en exploitation intensive, essentiellement le douglas aujourd’hui.

Vers d’autres modes de valorisation

S’il est clair que l’abandon de la forêt à elle-même est très favorable à l’environnement sur le long terme (stockage du carbone, biodiversité…), elle n’est pas satisfaisante socialement dans la mesure où elle ne produit pas les matériaux dont l’humanité a besoin, que ce soit pour le chauffage (bûches, plaquettes, granulés), la construction (bois d’œuvre) ou l’industrie (papier, panneaux, palettes, etc.).

À l’opposé, transformer la forêt diversifiée en monoculture industrielle à courte rotation (40 ans) pour le simple besoin de l’industrie du bois et la recherche d’une rentabilité à court terme pose d’autres problèmes : perte de biodiversité, fragilité face aux intempéries, épuisement et dégradation des sols, atteinte aux paysages, gestion de l’eau, problèmes posés par des coupes rases fréquentes… Cette solution ne peut pas être généralisée sans de graves dommages à l’environnement. Quelle que soit sa rentabilité, elle ne peut en aucun cas se pérenniser sur le long terme et devra évoluer vers une diversification des espèces (feuillus et résineux), et des âges, en favorisant la régénération naturelle si elle veut s’adapter aux changements climatiques.

Forêt de douglas, entre monoculture et coupe rase (France 3 Nouvelle-Aquitaine, Sylvain Antoine, le 25 avril 2017)

Alors que faire de nos forêts ?

Comment BIEN faire, entre ne RIEN faire et MAL faire ?

La pire des solutions…

La solution que l’on voit poindre depuis quelques années vise tout simplement à couper à blanc (raser) la forêt, quel que soit son état, pour produire du bois de brûlage avec les petits bois (moins de 30 cm) et du bois d’œuvre ou d’industrie avec les plus grosses tiges. Opération facilitée par l’utilisation d’énormes machines qui sont capables de travailler avec rapidité, sans précaution pour le sol et l’environnement. La rentabilité de ces opérations repose sur le faible emploi de main-d’œuvre et le traitement uniforme et en masse du bois. C’est ainsi que 4 000 tonnes de bois sont exploitées sur une douzaine d’hectares depuis 2018 au-dessus du bourg de Vauxrenard.

Au-delà des problèmes environnementaux posés par ce mode d’exploitation (relargage important de CO2, érosion et tassement des sols, destruction des chemins, atteinte aux paysages…), se pose la question du devenir d’une forêt ainsi exploitée.

En effet, l’ambiance forestière régulatrice de la lumière et de l’humidité ayant disparu, la repousse des arbres à venir est rendue difficile et très aléatoire. Soumis aux rigueurs du climat, notamment des sécheresses estivales, le sol mis à nu ne le supportera pas.

Par ailleurs, la régénération s’effectue principalement par la pousse des rejets issus des bourgeons dormants sur les souches des arbres abattus. Ces rejets ne produiront qu’un taillis de très mauvaise qualité, les tiges étant trop nombreuses et incurvées à leur base elles ne peuvent fournir que du bois destiné au brûlage. La forêt est définitivement perdue pour de très nombreuses années (plusieurs générations)… À moins de disposer de moyens suffisants pour la replanter, opération coûteuse et aléatoire dans ces conditions…

État de la forêt suit à une coupe rase sur la commune de Vauxrenard (2021, Daniel Mathieu)

Une voie alternative existe !

Face à ces difficultés, des forestiers recherchent des solutions alternatives autres que : 1) ne rien faire, 2) tout raser ou 3) tout replanter. C’est le cas notamment de la stratégie préconisée par PRO SILVA, promue par l’AFI (Association Futaie Irrégulière) et le Réseau pour les Alternatives Forestières (RAF).

Il s’agit pour cela de cultiver la forêt de façon diversifiée (en âge et en essences), en couvert continu, sans coupe rase, en visant deux objectifs :

  1. produire un revenu régulier en extrayant périodiquement (tous les 10 ans environ) une fraction du surplus de bois produit par la forêt (de 5 à 10 m3/ha/an),
  2. tout en sélectionnant les arbres d’avenir destinés à faire du bois d’œuvre de qualité, valorisable à plus long terme.

Ainsi, le « capital bois » de la forêt s’accroît au cours du temps par la production de beaux arbres, tout en générant un « intérêt » régulier lors des éclaircies. Lors de l’abattage des gros arbres parvenus à maturité, l’éclaircie ouverte est favorable à la pousse de nouveaux plants. Pas besoin d’investissements pour replanter, la régénération est naturelle. Pas de gros engins pour raser la forêt, le sol est préservé. Le processus est continu et donc durable. La forêt est diversifiée et donc plus résistante aux aléas climatiques. La biodiversité est importante et la qualité paysagère remarquable.

Débardage au cheval du bois en éclaircie (Réseau pour les Alternatives Forestières)

A savoir !

Concernant la croissance d’une forêt.

En première approximation et en dehors de tout bouleversement majeur (coupe rase, tempête, plantation récente…), la quantité de bois de tige contenue dans une forêt bien constituée, varie assez peu avec le temps. Elle se mesure par la totalité de la surface des troncs s’ils étaient tous coupés à la même hauteur (1,3 m), dite surface terrière. Elle augmente régulièrement avec le temps, mais sa répartition varie énormément, passant d’une multitude de petites tiges (taillis) à un nombre restreint de gros arbres (futaie). C’est ce que nous montre le schéma ci-dessous.

Le nombre de tiges diminue fortement avec le temps, mais la surface terrière croît régulièrement

Cultiver la forêt a ainsi pour objet de favoriser la croissance des plus grosses et des plus belles tiges en retirant régulièrement les arbres qui les concurrencent au niveau de la canopée (éclaircie) pour faire des bûches ou des piquets, jusqu’à ce que l’on commence à valoriser les arbres arrivés à maturité. Le retrait des gros arbres ouvre de la lumière pour les semis naturels, et le cycle se poursuit sans jamais réaliser de coupe rase.

A croissance égale, mesurée par l’épaisseur des cernes de croissance, plus un arbre est gros, plus il produit de bois. Si un arbre a mis 30 ans pour produire 1 m3 de bois, il doublera son volume dans les 12 ans qui suivent ! Il ne faut pas abattre les arbres trop jeunes, d’autant que la proportion de bois de cœur (duramen), augmente elle aussi avec le temps, accroissant la valeur du bois….

Coupe d’un tronc mettant en évidence les différentes couches constitutives du bois

Le stockage supplémentaire de carbone s’effectue dans l’augmentation de la surface terrière, de la hauteur des arbres et le développement des ramures, mais aussi dans le sol : humus, racines, mycorhizes, microfaune… représentent 50 % du carbone stocké ! Si l’on garde un couvert continu, ce stock augmente alors même que l’on retire périodiquement du bois en éclaircie  !

Concernant la valeur du bois

Il importe de connaître quelques ordres de grandeurs. Le bois destiné au brûlage est acheté sur pied aux environs de 6 € le stère. Cette production à bas prix ne peut concerner que du bois extrait comme sous-produit d’une autre activité : éclaircie en amélioration d’une futaie, branches issues de l’abattage de gros arbres, chablis créés lors d’une tempête… En aucun cas elle ne devrait provenir de bois noble ou de la coupe rase d’une forêt !

Le bois d’œuvre constitue la vraie richesse d’une forêt, à la fois sur le plan environnemental (stockage de carbone sur le long terme, climat, biodiversité, etc.) et économique. Un beau fût de chêne est vendu de 150 € le m3, soit 15 fois plus cher que de la bûche. Sa valeur croît avec le temps. De même le châtaignier, arbre à croissance rapide, se négocie 100€ le m3 au bout de 40 à 50 ans. De surcroît il nourrit avec ses fruits de nombreux animaux en forêt… quand au douglas, essence de grande qualité, critiqué aujourd’hui pour ses plantations en monoculture intensive (qu’il est inexact de qualifier de « forêt »), il doit trouver toute sa place en forêt diversifiée dans une sylviculture raisonnée, en mélange avec d’autres essences.

Conclusion

Avant de céder aux sirènes de l’acheteur qui vous promettra un chèque sonnant et trébuchant pour la destruction de votre forêt par une coupe rase (suivie ou non d’une plantation de douglas), réfléchissez à la façon de lui assurer un avenir plus bénéfique à la fois pour vous et pour la planète…

N’hésitez pas à nous contacter, nous pourrons vous mettre en relation avec des personnes ou des structures qui pourront vous y aider accueil@lapierredesaintmartin.org

Vous pouvez également contacter un groupement forestier, comme CERF VERT, dont l’objectif est de valoriser la forêt dans le respect de la nature et de l’environnement gfcerfvert@gmail.com

Bibliographie

Livres

  • ONF, 2008. L’élu forestier. Les fondamentaux. Guide de la forêt à l’usage des communes.
  • LAUSSEL, P., BOITARD, M., du Bus de Warnaffe, G., 2017. Agir ensemble en forêt. guide pratique, juridique et humain., Charles Léopolde Meyer. ed.
  • BIROT, Y., FLORENTIN, G.-H., HENRY, J.-Y., ROMAN-AMAT, B., 2020. Le grand livre des arbres et de la forêt, Odile Jacob. ed.
  • GADAULT, T., DEMEUDE, H., 2020. Massacre à la tronçonneuse. Climat, parasites, crise budgétaire… Nos forêts en état d’urgence., Cherche Midi. ed.
  • Gaspard D’ALLENS, 2019. Main basse sur nos forêts, Reporterre. SEUIL.

Sites internet et vidéos

Bibliographie complémentaire proposée par Benoît RENAUX du CBNMC

Daniel Mathieu, confinement avril 2021