La Pierre de Saint Martin

Située sur la montagne des Éguilettes, figurant parmi les emblèmes de la commune de Vauxrenard, la Pierre de Saint Martin est un gros bloc rocheux de forme parallélépipédique, mesurant 5 mètres de long, 3 mètres de large et 1,5 mètre de haut. La présence ici de cette grosse pierre et les marques qu’elle porte ont de quoi interpeller !

La pierre de Saint Martin

Ce que la géologie nous enseigne

En effet, quand on arrive devant cet énorme rocher, on se demande inévitablement d’où il vient. Sa nature géologique est identique à celle des roches coiffant la montagne des Éguillettes, visibles notamment dans la carrière du même nom : c’est un grès de l’époque du Trias (début de l’ère secondaire), âgé d’environ 240 millions d’années.

La structure de la roche est conforme aux couches de grès existant dans le sous-sol environnant et dont elle est issue : elle présente une disposition en couches parallèles (strates), pas toujours régulières mais globalement horizontales.

Quant à la situation du bloc, elle est plutôt singulière : celui-ci repose isolément à la surface du sol, sans lien avec le substrat rocheux sous-jacent, sans couche de terrain visible alentour et sans véritable rocher de taille analogue à proximité. Il est difficile d’apporter une explication simple à cet étrange phénomène. Ce que l’on peut indiquer, c’est que la présence de la Pierre de Saint Martin à cet endroit et dans cette disposition n’est pas l’unique résultat des banals facteurs de l’évolution naturelle des sols et de l’érosion, qui, effectivement, peuvent aboutir des résultats similaires. Mais il est probable, si ce n’est certain, que l’exhumation du sol et l’éventuel déplacement naturels de ce rocher, comme de nombreux autres éléments rocheux dispersés au sommet de la montagne des Eguillettes, ait un lien avec l’action de la glace ou avec celle des alternances gel-dégel (phénomène « périglaciaire ») qui se sont produits lors de la dernière grande période glaciaire (Würm, -75 000 à – 15 000 ans). L’individualisation et l’isolement de la Pierre de Saint Martin seraient donc à la fois, au moins en partie, climatique et mécanique, et non pas seulement pédologique.

Bruno Rousselle, 2020, Géoparc Beaujolais UNESCO

Et qu’en dit la légende ?

La légende qui nous est rapportée par Claudius Savoye (1856-1908), instituteur et préhistorien du Beaujolais, nous raconte ceci :

« Saint Martin avait, paraît-il, autrefois de nombreux démêlés avec Messire Satan et ils se jouaient l’un de l’autre, d’après les légendes, d’assez vilains tours. Le diable finissait toujours par avoir le dessus avec son saint adversaire.

Un jour que Satan s’occupait de transporter des pierres au sommet du mont des Eguillettes, Martin, qui passait par là se mit à le railler sur son travail en lui disant que des pierres d’aussi petites dimensions formaient un fardeau bien indigne d’un si puissant personnage. Satan, piqué au vif par le ton moqueur du Saint, jura de couronner son œuvre par le transport d’un rocher placé au fond de la vallée. Saint Martin accueillit en souriant ce qu’il considérait comme une vantardise.

Cependant le diable se charge gaillardement le bloc sur les épaules et, nouveau Titan se met à gravir la montagne.

Goguenard au début, le Saint se trouble en voyant le diable approcher du but, et appeler à son secours tous ses collègues de la cour céleste. Le ciel ne permit pas qu’un des siens fût battu par l’ange des ténèbres. Satan fit un faux pas et laissa tomber son lourd fardeau à peu de distance du sommet de la montagne.

Satan confus de sa défaite fut encore condamné à monter avec le gros orteil une série de marches microscopiques, taillées ad hoc par Saint Martin, dans la pierre qui porte son nom et la trace de son cheval. Furieux de cette pénitence puérile le diable s’en venge en faisant exécuter par ses subordonnés, et pas les nuits obscures, des rondes infernales autour de la Pierre de Saint Martin, objet de sa défaite. La pierre est hantée, disent les paysans, et nul n’oserait s’en approcher après le coucher du soleil »

Savoye, Claudius, 1893, Pierres et légendes de la commune de Vauxrenard