1709, un rude hiver !

Il était une fois l’hiver 1709…

Le tableau de Pieter Brueghel l’Ancien intitulé Chasseurs dans la neige (1565) représente une vague de froid intense où toute la nature est gelée.

Le printemps 1991 fut marqué par une vague de froid inaccoutumé qui causa des dégâts dans les vignes suite à un début d’année plutôt doux. Pourquoi le temps est-il si différent d’une année sur l’autre ? Quels ont été au cours de l’histoire les caprices de la météorologie et leurs conséquences sur la vie des hommes ? Voici des questions que nous nous posons souvent. Aujourd’hui se sont plutôt les étés secs et chauds qui marquent les esprits en raison des changements climatiques liés aux activités humaines. Mais il n’en n’a pas toujours été ainsi.

Les anciens se rappellent sûrement de ce mois de février 1956 avec ses gelées hors du commun qui fut si terrible pour la vigne. Certains se souviennent peut-être encore de ces hivers 1940 et 1945 où le froid et la neige se conjuguaient au désastre du pays sous l’occupation. A chaque époque nous pouvons citer des exemples de ces saisons particulièrement rigoureuses. Mais parmi elles, certaines ont marqué l’histoire avec une intensité que nous n’imaginerions plus aujourd’hui.

Au cours des XVIIéme et XVIIIéme siècles, notre climat traversa ce que certains ont appelé « le petit âge glaciaire ». La température descendit de un degré en moyenne par rapport à celle d’aujourd’hui. C’est peu, mais suffisant cependant pour faire avancer fortement certains glaciers, comme celui de Chamonix. Mais cette époque fut surtout caractérisée par plusieurs hivers d’une rigueur extrême suivis d’un été pourri, ce fut le cas notamment en 1661, 1694, 1709 et 1740.

Évolution des températures mensuelles à partir du 1er janvier 1709

Le pire de tous les hivers est entré dans l’Histoire

De nombreux textes nous ont relaté l’hiver funeste de 1709 qui fut le pire de tous. Il s’en suivi une terrible disette provoquée par la destruction des moissons et une épidémie de peste favorisée par l’épuisement d’une population sans ressources.

Un prêtre d’Angers, le père Lehoreau, nous le commente en ces termes : « Le froid commença le 6 Janvier 1709, et dura jusqu’au 24 dans toute sa rigueur. Le désastre fut si grand que les œufs des poules valaient aux environs de 25 à 30 sous la douzaine car les pondeuses, pour la plupart étaient mortes de froid, ainsi que les bestiaux dans les étables. On voyait tomber, gelée, la crête des volailles, quand celles-ci avaient survécu au froid. Un grand nombre d’oiseaux, canards, perdrix, bécasses et merles moururent, qu’on trouvait dans les chemins et sur les épaisses glaces et les fréquentes neiges. Chênes, frênes, arbres des vallées se fendirent par la rigueur de l’hiver. Les deux tiers des noyers et des vignes moururent. On ne vendangea point du tout en Anjou, sauf très peu en quelques petits cantons. J’en parle d’expérience pour n’avoir même pas recueilli dans ma vigne ce que pourrait tenir de vin dans une coquille de noix. »

François Perraud (1830), de La Chapelle de Guinchay, qui étudia cette période nous dit : « Les trois derniers mois de l’année 1708 avaient été assez doux, mais du 4 au 13 janvier 1709 la température descendit jusqu’à un froid excessif et l’hiver resta rigoureux jusqu’au mois de mars. Le froid fut général dans toute l’Europe, la Garonne et l’Ebre furent glacées; le Rhône fut glacé jusqu’à une épaisseur de 12 pieds (environ 4 mètres) par les couches de glace qui s’y amassèrent. La mer se gela au loin à Sète et à Marseille. Le sol dépourvu de neige gela à près de 2 mètres de profondeur. Plusieurs espèces d’oiseaux et d’insectes furent presque anéanties ; le bétail périt dans plusieurs provinces de la France. Les châtaigniers et les noyers les plus vieux et les plus forts périrent en grand nombre. Le premier dégel vint le 26 janvier, mais le froid reprit peu de jours après. Ce fut cette reprise qui fit tout le mal parce que l’eau n’ayant pas eu le temps de s’imbiber dans la terre ni de se sécher sur les arbres, la gelée forte et subite qui revint, saisit et coupa toute les racines du blé et détruisit l’organisation même dans les arbres. »

Le curé de Leyne écrit dans ses registres : « le 6 janvier il pleut. Le jour des rois, pendant les vêpres, le ciel se découvre, le froid saisit ceux qui sortent de l’église. Le froid augmente tous les soirs. Le matin on entend les bois se fendre. Les blés devinrent semblables au foin sec. Quand le dégel vint on croyait qu’ils n’avaient pas grand mal, mais à mesure que le soleil les vit, ils noircirent comme du charbon. Alors on connu le malheur public. Les usuriers fermèrent leurs greniers, les pauvres vécurent d’herbes, souffrirent et moururent en grand nombre. Ceux qui avaient des menus grains, orge, avoine, fève, blé noir en semèrent et jamais on ne vit menue récolte si abondante, mais 6 mois furent affreux, Leyne compta cette année 40 décès. »

Un autre curé du département dit de son coté: « Le froid commença au 5 janvier par une bise effroyable qui dura plus d’un mois. Toutes les graines furent perdues, le prix du blé valut 150 livres l’asnée (mesure de volume) au lieu de 20, prix ordinaire et le moindre vin valait aussi 150 livres la botte (430 litres) au lieu de 20 à 25, prix courant. Aussi les personnes aisées qui n’avaient pas leur provision de blé en étaient privée et un certain nombre de curés ne purent dire la messe faute de vin. Un cinquième de la population mourut de Pâques à la Saint-Martin. Les personnes qui mouraient de faim étaient noires et faisaient pitié. »

Quand le gouvernement s’en mêle

Un arrêté du gouvernement obligea chacun sous peine de galère et même de mort de déclarer ses approvisionnements. Près de nous, la paroisse du mont Saint-Vincent perdit presque la moitié de ses habitants. A la chapelle de Guinchay l’on compta jusqu’à trois décès par jours et cela à une époque ou la population n’atteignait pas 800 habitants. Dans le Nord de la France on vit des localités de 400 feux (foyers) où il ne restait que trois personnes. Les riches vendaient leur vaisselle d’or et d’argent pour vivre, le commerce était comme suspendu, les ouvriers étaient sans travail et la justice n’était plus rendue car l’encre était gelée dans les encriers !

L’analyse des dates de décès, montre en fait que la population survécut au froid intense, malgré la faiblesse de ses protections, mais mourut de faim et de l’épidémie de la peste, en grand nombre à partir du mois de mai lorsque les réserves furent épuisées. A Emeringes, on enregistra 40 décès en 1709, contre 10 environ les autres années. La majorité mourut au cours de l’été : 3 en mai, 13 en juin, 5 en juillet, 6 en août, et 4 en septembre.

Des éruptions volcaniques en 1707 et 1708 (Mont Fuiji et Vésuve), qui produisirent un voile de cendres dans la stratosphère, pourraient expliquer cet hiver rigoureux (hiver volcanique) en 1709. Globalement, les températures moyennes en Europe furent inférieures de °C aux moyennes du XXe siècle !

Lagon gelé en 1709, par Gabriele Bella, une partie de la lagune de Venise gela en 1709

Notre XXéme siècle ne connut pas, fort heureusement de telle catastrophe, mais l’évolution du climat reste difficile à prédire. Il est aujourd’hui évident que nous nous acheminions plutôt vers un réchauffement, dont l’activité de l’homme est la principale cause par « effet de serre » liée à la production massive de CO2 dans l’atmosphère.

DM