Les osiers

L’osier et la vigne en Beaujolais

La vigne

Avant d’aborder l’usage de l’osier en viticulture il importe de donner quelques indications sur la conduite de la vigne telle quelle se pratiquait il y a quelques années de cela.

En effet, jusqu’à récemment l’Institut National des Appellations d’Origine (INAO) imposait des contraintes strictes pour bénéficier de l’appellation Beaujolais : il fallait entre 9 000 et 11 000 pieds de vigne par hectare, soit en moyenne un pied par mètre carré. La taille réglementaire dite en gobelet comportait typiquement 5 cornes (rameaux de base), 1 sarment par corne et 2 yeux francs par sarment.

Les jeunes vignes étaient soutenues par un « échalas », piquet en bois de faible grosseur, généralement en châtaigner ou en acacia, planté près du pied de la vigne et destiné à faciliter le maintien de l’ensemble des sarments grâce à un lien, pour résister aux intempéries et faciliter le passage des engins entre les rangées de ceps.

Les échalas sont plantés lorsque la vigne a atteint l’âge de 2 ans, puis sont suivis et renouvelés pendant plus d’une dizaine d’années. La vigne ayant atteint une certaine maturité, elle est bien charpentée et les sarments sont moins fragiles. Elle n’a plus besoin d’un piquet de maintien et seul l’attachage des sarments (le relevage), rassemblés en faisceau s’impose, ainsi qu’un rognage régulier, l’émottage des pampres – pousses de l’année – pour limiter le feuillage et donner du soleil aux raisins.

Les liens utilisés pour « relever » la vigne étaient traditionnellement confectionnés avec de l’osier, cultivé et travaillé localement, ou plus raremement de la paille de seigle.

L’osier botanique

Tout d’abord une définition, qu’appelle-t-on « osier » ? Il ne s’agit pas d’une dénomination botanique désignant une espèce végétale particulière, mais celle d’un rameau de l’année poussant sur un saule taillé en « têtard », c’est-à-dire élagué totalement chaque année. Du fait de cette taille régulière et énergique, les rameaux poussent vigoureusement, produisant des tiges très droites, régulières, de faible grosseur et de 1 à 3 mètres de longueur. Ce sont les osiers ! Par extension, on appelle osier l’arbre ainsi taillé en « têtard », au tronc est très court, surmonté d’une tête qui porte les rameaux d’osier. L’oseraie est le peuplement d’osiers ainsi cultivés.

Concernant l’espèce botanique utilisée pour produire des osiers, il s’agit toujours d’un saule (genre scientifique Salix), mais dont l’espèce et la variété dépendent de l’usage envisagé (vannerie, lien, clôture…), de la couleur recherchée (vert, jaune, orange, rouge sombre, brun) ou des caractéristiques mécaniques (longueur, souplesse, rigidité). Les principales espèces de saule utilisées en vannerie sont :

  • Salix fragilis (Osier fragile), rameaux rouges et luisants,
  • Salix viminalis (Osier des vanniers), rameaux bruns clairs, très droits et uniformes,
  • Salix triandra (Osier brun), rameaux brun sombre, effilés, parfois tachés de blanc,
  • Salix purpurea (Osier rouge), rameaux verts olivâtres, feuilles sèches persistantes,
  • Salix alba (Osier blanc, Osier des vignes), très vigoureux

Pour la vigne c’est généralement Salix alba qui est utilisé. Avec ses rameaux jaunes et vigoureux, sa moelle abondante, il est mal adapté à la vannerie et est utilisé principalement pour attacher les ceps.

Tous ces saules ont des feuilles régulières, allongées (beaucoup plus longues que large) contrairement à celles des autres espèces de saules comme le Saule Marsault (Salix caprea) ou le saule cendré (Salix cinerea).

Pépinière d’osiers (Salix alba) après récolte. Vauxrenard, hameau de Bise, 2005

La culture de l’osier

La culture de l’osier est l’osiériculture autrefois dénommée saliciculture. La plantation des osiers est assez simple, car le bouturage des saules est très facile. Il s’effectue en novembre ou décembre dans un sol assez frais mais pas trop humide car la pousse y serait trop vigoureuse. Les pépinières sont généralement de petite dimension, parfois constituées d’une simple rangée en bordure d’une vigne. Les tiges sont plantées très serrées afin de limiter les pousses latérales. Elles sont élaguées dès la première année. Au bout de 3 à 4 ans, quand la tête du saule est bien formée on peut commencer à récolter les osiers. Afin de limiter les branches sur les tiges on peut faire un premier élagage lorsque les pousses ont atteint 25 à 30 cm. Les nouvelles pousses sont alors moins branchues. Les osiers sont récoltés lorsque toutes les feuilles sont tombées en novembre ou décembre. Les tiges sont coupées au raz de la tête de l’arbre et regroupées en gros fagots. L’entretien de la pépinière ne nécessite pas de soins particuliers sinon le nettoyage de l’herbe ou des ronces quand elles sont trop envahissantes. Les pépinières d’osiers jadis très communes dans le Beaujolais, on en trouvait un peu partout en bordure des vignes, tendent à disparaître ou bien ne sont plus entretenues. L’usage de l’osier comme ligature tombe en désuétude en raison des nouveaux modes de palissage de la vigne sur ficelle en matière synthétique ou sur fils de fer.

La fabrication des liens en osier

Une fois récoltés, les osiers sont triés en sélectionnant les belles tiges, en élaguant les petits rameaux latéraux et en éliminant celles qui sont trop branchues. Les osiers triés sont mis en fagots un peu moins gros que les fagots de récolte puis coupés en longueur de 50 à 60 cm à la cisaille ou, mieux, avec une scie à ruban. Les brins les plus fins seront utilisés en l’état (dénommés « villons ») et les plus gros seront fendus. Tous sont regroupés en fagots pour être manipulés. Les plus fins sont liés avec deux liens en vue de leur usage futur. Ce travail était réalisé l’hiver, souvent en famille le soir à la veillée.

Les plus grosses tiges sont fendues en deux, trois ou quatre brins selon leur taille afin d’obtenir des liens de grosseur identique. Jadis les osiers étaient fendus à la bouche. Avec les dents on réalisait l’amorce de la séparation des brins qui étaient ensuite séparés à la main en veillant à ce que le fendage soit régulier sur toute la longueur de la tige ! Un fendoir à main à 3 ou 4 sections était utilisé pour les plus gros osiers.

Sont apparues ensuite de petites machines à fendre composée d’une série de trois tubes débouchant sur des couteaux fendeurs à deux, trois ou quatre lames avec une pointe au centre pour amorcer l’osier. La tige y est poussée d’un coté et tirée de l’autre jusqu’à séparation complète des brins.

Fendre les osiers à la machine. Gaston Patissier, 31 décembre 2014

Plus tard sont apparues des machines motorisées comportant en plus, des rouleaux entraîneurs qui facilitent l’avancement de l’osier et accélère la cadence du travail. Ces « machines à fendre les osiers » sont entraînées par un « démultiplicateur ». Cet appareil, très commun dans toutes les fermes, comprend un moteur en partie basse entraînant deux séries de poulies en cascade de grosseur variable permettant de modifier et réduire la vitesse de rotation de l’axe de sortie. Celui-ci est prolongé par une tige de transmission munie d’un joint de cardan à chaque extrémité relié à la machine à faire tourner. Le démultiplicateur était utilisé tour à tour, pour actionner la baratte à beurre, la meule en gré pour affûter les outils et la machine à fendre les osiers.

Pour être efficace, l’opération de fendage des osiers mobilise une personne qui alimente la machine en sélectionnant au toucher la taille des osiers pour les introduire dans le bon tube de fendage en deux, trois ou quatre brins, une autre qui réceptionne les osiers fendus, et une troisième qui les conditionne en petits fagots d’environ deux cents brins, appelés des « matoles » maintenues par deux liens en osier. Ces « matoles » sont rassemblées et liées par botte d’une douzaine pour être remisées dans un endroit bien ventilé afin d’obtenir un séchage correct. Il fallait compter environ dix mille à douze mille brins d’osier par hectare, soit environ 50 matoles.

Le démultiplicateur qui actionne la machine à fendre les osiers

André Mathieu attache les « matoles » d’osier, 1999

Le liage de la vigne avec des osiers

Fin mai, début juin, la vigne commence à avoir des rameaux suffisamment longs qu’il faut « relever » pour éviter qu’ils ne traînent par terre et ne s’accrochent entre eux par les vrilles situées le long des branches. N’oublions pas que la vigne est une liane grimpante ! Ce relevage des sarments est réalisé avec les osiers.

Pour ce faire, les osiers fendus et séchés durant l’hiver, sont mis tremper dans un bac d’eau. Les plus fins, qui n’ont pas été fendus, sont plus longs à se réhydrater. Aussi, certains les faisaient bouillir dans une chaudière pendant un petit moment avant de les utiliser. L’eau, très noire et très acide issue de cette ébullition était ensuite utilisée pour faire tremper à froid pendant une journée les brins qui avaient été fendus. Devenus très souple l’osier est apte à être utilisé pour attacher la vigne.

Le vigneron qui attache sa vigne utilise pour transporter ses osiers un tablier en tissu, noué à la ceinture dans lequel la matole est enroulée. Les brins sont pris un à un par leur gros bout situé à droite de la matole. D’un geste circulaire l’osier, tenu en bout de bras, permet de rassembler tous les rameaux en un faisceau. Celui-ci est resserré et lié avec l’osier dans un geste rapide consistant à tenir le gros bout de la main droite et à exécuter deux tours sur le petit bout puis le à rabattre vers l’arrière. Le nœud ainsi exécuté est très rapide de réalisation et très résistant lorsque l’osier est de nouveau sec et rigide.

Autres usages de l’osier

Les gros osiers étaient utilisés pour attacher les gerbes de céréales ou des fagots de petits bois ou de sarments de vignes pour allumer le feu ou brûler dans le four à pain. Ces liens étaient dénommés localement des « rioutes ».

Les osiers sont bien entendu très largement utilisés pour les travaux de vannerie, usage attesté depuis plus de 8 000 ans pour la confection de paniers, corbeilles, d’objets décoratifs… Il est de nos jours souvent remplacé par le rotin (rotang), produit à partir d’un palmier asiatique qui pousse sous forme d’une longue liane qui est calibrée dans une filière, facile à utiliser.

Une autre utilisation moins courante est celle de la réalisation de palissades en osier tressé et vivant dénommé « plessage », jadis utilisé pour séparer les pâturages ou planté au bord des ruisseaux et des étangs pour maintenir les berges.

Pour finir nous pouvons également mentionner l’usage pharmaceutique du saule, dénommé jadis « l’arbre contre la douleur ». En effet, depuis l’antiquité l’usage des feuilles et de l’écorce du saule et de l’osier est préconisé sous forme d’infusion pour soigner les douleurs, la fièvre, la grippe, les rhumatismes et les maux de tête. Les saules, en effet, contiennent dans leurs tissus de la salicine (salicylate de méthyle), précurseur chimique de l’acide salicylique et de l’acide acétyle salicylique, autrement appelé : Aspirine ! C’est Félix Hoffmann qui, en 1897 synthétise l’acide acétyle salicylique et lui donne le nom d’Aspirine, nom tiré d’une autre plante qui contient des composés salicylés : la Reine des prés aussi appelée Spirée ulmaire (Filipendula ulmaria), dont le nom de « Spirée » qui donnera « Aspirine », provient de la forme des fruits qui sont spiralés.

Inflorescence de la Spirée ulmaire ou Reine des près Fruits spiralés de la Spirée ulmaire ou Reine des près

Daniel Mathieu, 2018