Le télégraphe Chappe

Introduction

A la limite des commune de Vauxrenard et de Chiroubles, tout près de la terrasse de Chiroubles, s’élève un monument métallique évoquant le dispositif utilisé jadis (première moitié du 19ème siècle) par le « télégraphe Chappe » pour transmettre des messages codés entre Paris, Lyon, Marseille et Toulon. C’est de ce mode de transmission, révolutionnaire pour son époque, dont nous allons parler.

Son histoire

Communiquer sur de longues distances n’est pas un problème récent. Entre la diligence et l’Internet de nombreux dispositifs ont été inventés pour transmettre des messages le plus rapidement possible. Le télégraphe Chappe est l’un d’entre eux.

Illustration d’un télégraphe Chappe parue dans Les merveilles de la science, Louis Figuier 1868

Le système, présenté par Claude Chappe (1763-1805) à la tribune de l’Assemblée législative le 22 mars 1792, est basé sur la transmission de messages visuels entre des stations espacées d’une dizaine de kilomètres et situées sur des points élevés. Il a bénéficié, d’une part, de la mise au point de la lunette astronomique par un opticien de Londres (John Dollond) vers 1758 qui a permis de discerner des détails à grande distance, et, d’autre part, du contexte très porteur de la Révolution française. La France était alors entourée d’ennemis qui tentaient d’étouffer par les armes la propagation des idées de la Révolution. La transmission rapide de nouvelles des nombreux fronts de guerre qu’elle devait entretenir devenait alors vitale pour la république naissante.

Le , le Comité de salut public ordonne la mise en place de la ligne Paris-Lille et en confie la réalisation au ministère de la guerre. Le , le télégraphe est testé sur cette ligne et a permet de transmettre des messages entre ces deux villes en neuf minutes seulement !

En 1844, 534 tours quadrillent le territoire français reliant sur plus de 5 000 km les plus importantes agglomérations.

Réseau du télégraphes Chappe en France et leur date de mise en service

En dépit de sa relative complexité et de ses aléas (pannes mécaniques, pluie, brouillard…) ce système de transmission était relativement efficace. Il fallait environ une heure pour transmettre un  message de 50 mots entre Paris et Lyon, soit une vitesse de transmission supérieure à 300 Km/h, comme le TGV ! Rappelons qu’il fallait à cette époque 4 jours à un messager à cheval, avec de nombreux relais, pour couvrir la même distance.

Mais bientôt, les premières lignes de télégraphe électrique développées par Samuel Morse sont installée en France. La première en 1848 entre Paris et Rouen suit  le parcours du train, sonnant progressivement le glas des tours de Chappe. Leur dernière utilisation remonte à 1854.

Anecdote : entre 1834 et 1836, le télégraphe Chappe a été utilisé à des fins personnelles par deux hommes d’affaires bordelais afin de connaître avant tout le monde la clôture des cours de la rente à la Bourse de Paris. Il s’agit du premier piratage d’un moyen de communication à distance !

Aujourd’hui, seuls une vingtaine d’exemplaires de tours Chappe subsistent en France, dont certains dans un état précaire (mécanisme disparu). Le plus proche de Vauxrenard se situe à Marcy-sur Anse, dans les Monts d’Or.

Son fonctionnement

Les tours Chappe prenaient la forme d’une tour ronde ou carrée située sur une colline visible de loin. Elles étaient constituées :

  • d’un mât de 7 mètres, intégrant une échelle pour accéder aux éléments mobiles et réaliser leur entretien ;
  • d’un bras principal nommé « régulateur », de 4,60 m de long sur 0,35 m de large ;
  • de deux ailes nommées « indicateurs », de 2 m sur 0,30 m ;
  • de contrepoids gris pour chaque indicateur, nommés « fourchettes » ;
  • d’un système de manœuvre au pied du mât en salle de travail, nommé « manipulateur », reproduisant à l’identique les positions du signal ;
  • d’un système de transmission par câbles et poulies de renvoi ;
  • d’une salle de travail à l’étage où le stationnaire observait les tours voisines et actionnait le système de manœuvre du signal ;
  • d’un local de repos en dessous, où le stationnaire pouvait descendre se reposer un quart d’heure après le coucher du soleil à un quart d’heure avant le lever du soleil ;
  • de deux lunettes (x 30 à x 60) : l’une fixe regardant la station amont et l’autre la station avale.

Deux stationnaires étaient affectés à une tour, et ils se relayaient chaque jour à midi, tous les jours de l’année. Ils relayaient les messages observés à la lunette en actionnant le mécanisme de leur tour et en consignant les signaux transmis dans un registre.

Un message était composé de « mots« , chaque mot étant codé par deux positions des bras articulés. Des positions particulières indiquaient le début et la fin des messages, le début et la fin des périodes de transmission et diverses autres informations, notamment un signal de vérification final permettant de valider la réception d’un message.

Signaux codés réalisés par les bras du télégraphe

La position des bras permettait de représenter 98 figures possible, dont 92 utilisées pour transmettre les messages. Un mot étant composé de deux signaux, cela permettait de coder 8464 mots (=92 x 92). En fait, il ne s’agissait pas de mots, mais d’expressions prédéterminées utilisées pour transmettre des messages de nature militaire ou diplomatique. Ces expressions étaient consignées dans un livre de code, gardé secret par l’émetteur et les récepteurs du message. Le premier signal d’un mot indiquait la page et le second le numéro de la ligne dans cette page où était notée l’expression. Ainsi, les signaux étaient visibles de tous, mais impossibles à décrypter par toute personne ne disposant pas du livre de code.

Les stationnaires chargés de transmettre les messages n’en connaissaient pas la signification. Ils devaient seulement le transmettre sans erreur. Toute faute était sanctionnée. Cette fonction nécessitait une formation rigoureuse. Le travail était  pénible, mais mal rémunéré…

Implantation locale

Les tours Chappe situées sur des proéminences, étaient espacée de 10 à 15 km. Celle de Chiroubles fut érigée 1807. C’est la 49ème station du parcours Paris-Lyon. La station située en aval est celle Marchamps, déplacée ensuite sur Quincié pour en améliorer la visibilité, et celle en amont est située à Pruzilly.

Suite à l’arrêt des transmissions en 1854, la tour de Chiroubles a été rachetée par unpeintre plâtrier de Chiroubles dénommé Simon qui en améliora le confort pour essayer de la vendre. Mais personne n’était intéressée par cette petite demeure au sommet de la colline, loin des commodités. Aussi, eut-il l’idée de faire une loterie. Il fit imprimer 15 000 billets de loterie vendus 1 franc, le gagnant devenant le possesseur des lieux. Mais les loteries sont un privilège de l’état, et nul ne peut en lancer une sans autorisation. N’ayant pas fait cette démarche, il fut dénoncé par un indicateur de police auprès de la préfecture et du rembourser les souscripteurs… La resta sans acquéreur et fut progressivement démolie. Aujourd’hui,  il n’en reste pratiquement rien, les pierres ayant été réutilisées pour d’autres constructions.

Antoine et André MATHIEU sur les ruines du télégraphe de Chiroubles en 1948 – photo Pierre Valot

 

Source des informations :