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Rappel historique général
Avant la révolution, seules existent des écoles et des universités pour les classes les plus élevées de la société, très souvent tenues par des religieux (jésuites notamment). Ce n’est qu’en 1792, sous la Convention, avec Condorcet, qu’apparaît l’idée d’un enseignement public ouvert à tous. Faute de moyens ces idées ne seront mises en pratique que beaucoup plus tard. Sous l’empire (1799-1815), se sont essentiellement les universités et les grandes écoles qui seront développées pour répondre aux besoins en cadres et ingénieurs de l’industrie naissante et des grandes campagnes militaires de Napoléon.
En 1833 est promulguée une loi obligeant chaque commune à ouvrir une école publique. L’enseignement est payant, mais ouvert à tous. Ce n’est qu’en 1881-1882 que sont édictées, avec Jules Ferry, les lois instituant la gratuité, la laïcité et l’obligation scolaire.
L’école à Vauxrenard : l’émergence
Je n’ai pas trouvé de documents faisant référence à la notion d’école à Vauxrenard avant la période révolutionnaire. Il est vraisemblable qu’avant cette époque l’enseignement à Vauxrenard n’était réservé qu’aux enfants de la noblesse dont les parents pouvaient payer les frais d’un précepteur ou les cours dans un collège religieux.
Le premier instituteur connu, Claude Sorel, apparaît au recensement de 1819, sans que soit précisé de quelle école il s’agissait.
Le 15 avril 1834, le conseil municipal délibère sur l’autorisation demandée par Antoine Dailly pour ouvrir une école publique en ces termes :
« Ce jourd’hui 15 avril 1834, nous, membres du comité local d’instruction primaire, réunis sous la présidence de monsieur le Maire, lequel nous a rappelé que le Sieur DAILLY ayant déjà rempli toutes les formalités voulues par la loi du 28 juin 1833, a été autorisé à ouvrir une école primaire élémentaire en cette commune. Considérant que le Sieur Antoine DAILLY, a rempli ces fonctions depuis trois ans, qu’il a été jugé digne et capable sous tous les rapports, demandons à ce qu’il soit définitivement nommé instituteur primaire élémentaire pour la commune de Vauxrenard. »
L’autorisation d’ouvrir l’école fut accordée le 18 août 1834 au « Sieur Antoine Dailly né le 2 janvier 1811 et titulaire d’un brevet de capacité du deuxième degré, vu que la place d’instituteur est vacante depuis plus de dix ans pour décès et que le Sieur Dailly l’occupe depuis trois ans. » Ainsi, il semble qu’une école existait bien à Vauxrenard antérieurement à la loi de 1833, mais que celle-ci n’avait plus d’instituteur depuis environ 1820, après le décès de Claude Sorel mentionné en 1819.
En l’absence de local appartenant à la commune, le sieur Antoine Dailly loue le 10 janvier 1836 une grande Salle et une chambre au dessus, au sieur Aufert, percepteur de Thizy, pour la somme de 100 francs, payée par lui-même. Il est à noter qu’alors c’est l’instituteur qui engageait personnellement tous les frais de scolarité (locaux, fournitures, etc.) et qu’il en demandait ensuite le remboursement à la commune.
Précisons un peu les conditions de fonctionnement de cette première école primaire à partir des délibérations annuelles du conseil municipal sur le sujet. Ces délibérations, exécutées chaque année au mois de mai, statuent sur quatre points :
- le montant de la rétribution des élèves pour assister aux cours,
- le montant de l’indemnité versée par la commune à l’instituteur,
- le loyer pour la classe et l’appartement de l’instituteur,
- le mode de financement de ces dépenses.
Ainsi le 7 mai 1837 il est décidé que :
- le taux de rétribution mensuel des cours serait de 1 franc pour la lecture seule, de 1 franc 50 pour la lecture et l’écriture et de 2 francs pour la lecture, l’écriture, l’orthographe et le calcul.
- le montant du traitement de l’instituteur est de 200 francs
- l’indemnité pour le loyer est de 100 francs,
- les trois cents francs de dépense seraient financés à hauteur de 169 francs sur le montant des impôts de la commune et 131 francs par le département et l’état.
Ainsi, l’instituteur perçoit-il un fixe, complété par l’apport versé par les parents des élèves en fonction de l’enseignement donné. Sachant qu’une journée de travail d’un ouvrier est rétribuée environ 2 francs à cette époque, nous en déduisons que le coût d’une année scolaire est d’environ un demi-mois de salaire par élève et que le fixe de l’instituteur représente environ un demi-salaire annuel.
Ces dispositions resteront constantes jusqu’en 1843, date à laquelle il sera fixé un taux de rétribution mensuel unique de 1 franc 50 pour tous les cours.
Afin de permettre l’accès de l’école aux plus défavorisés, le conseil municipal établit à partir de 1839 une liste des « élèves indigents » qui seront exemptés de la rétribution des cours. Cette liste comporte entre 15 et 30 noms selon les années entre 1839 et 1852. Notons par ailleurs que ces listes, revues chaque année, ne comportent que des noms de garçons, indiquant par là que l’école ouverte en 1834 ne concerne pas encore les filles. Ce fait important se trouvera confirmé par une délibération du 9 août 1840 qui demande la légalisation de l’activité de la congrégation religieuse de Saint-Joseph en ces termes :
« Ce jour d’hui neuf août 1840, nous membres du conseil municipal de la commune de Vauxrenard sous la présidence de Monsieur le Maire de la Commune de Vauxrenard, considérant que les sœurs de la congrégation de Saint-Joseph, établies dans notre commune depuis 1829 et autorisées par Monsieur le recteur en 1837, dévouées à la visite des malades, à l’instruction des filles pauvres et à d’autres bonnes œuvres sont utiles à la commune. C’est pourquoi désirons que leur maison soit autorisée et supplions conséquemment l’autorité compétente de vouloir bien approuver leur établissement sur notre commune ». Cette congrégation religieuse était installée dans la propriété actuelle de Monsieur et Madame Peillon et jouissait du grand jardin environnant.
En résumé, nous pouvons donc dire que l’instruction primaire à Vauxrenard a vu le jour aux environs des années 1830. Que cette instruction était prise en charge par la commune pour les garçons et par une institution religieuse pour les filles. Qu’elle était payante, mais que des mesures d’exonération permettaient aux plus pauvres d’y accéder.
1852 : l’enseignement gratuit et l’école des Frères
Le schéma d’école précédent eut cours jusqu’en 1851, date à laquelle Le Vicomte de Saint-Trivier, propriétaire du Château du Thil, décida d’ouvrir une école libre et gratuite, tenue par des frères dans la maison Du Pèlerin et concurrente de l’école publique. Prenant acte de ce fait le conseil municipal décide le 15 février 1852 de déclarer cette nouvelle école comme étant l’école communale de Vauxrenard en ces termes :
« Considérant que Monsieur le Vicomte de Saint-Trivier a établi en Novembre dernier une école libre gratuite de frères pour tous les garçons de la commune au-dessous de 13 ans accomplis, que cette école divisée en deux classes réunit une centaine d’enfants, c’est-à-dire à peu près tous ceux de la commune et qu’elle fonctionne à la grande satisfaction des enfants et des parents ;
Considérant que le même Monsieur de Saint-Trivier a promis et fait annoncer au prône qu’il s’engage à maintenir et perpétuer cette gratuité, soit au moyen d’une rente sur l’État soit par une hypothèque sur quelque de ses domaines ;
Considérant qu’il est d’un très grand intérêt pour la commune d’accepter une proposition aussi avantageuse et que le conseil municipal manquerait à l’un de ses plus impérieux devoirs se déclarant ennemi de l’instruction s’il ne favorisait l’accomplissement de cette promesse aussi généreuse et tendant à un aussi grand bien ;
Considérant que le désir bien connu et manifesté publiquement du dit Monsieur de Saint-Trivier et des pères de famille que ladite école libre de frère soit déclarée école communale…
Considérant que fixer pour l’avenir une rétribution scolaire et voter un traitement d’instituteur seraient évidemment refuser l’offre faite à la commune par le généreux bien fondateur susdit, arrêtent lesdits conseillers :
Article 1 : l’école de garçons de la commune de Vauxrenard étant dès à présent et devant être à l’avenir entièrement gratuite, il n’y a pas lieu de fixer aucune rétribution scolaire.
Article 2 : ultérieurement la commune s’entendra avec Monsieur le vicomte de Saint-Trivier pour régler les conditions de la transformation de l’école actuelle libre des Frères en école communale et en attendant les deux cents francs que la commune a continué de voter chaque année pour le traitement de l’instituteur communal ainsi que les cent francs qu’elle vote encore pour la classe continueront d’être perçus mais resteront en disponibilité »..
Un arrêté du conseil municipal du 19 mai 1852 entérine ces dispositions avec l’article unique suivant : « le conseil municipal de Vauxrenard témoigne Monsieur le Vicomte de Saint-Trivier de sa profonde reconnaissance pour sa généreuse proposition du 30 avril dernier, laquelle il accepte avec empressement à la condition suivante : à part les frais de chauffage qui seront à la charge des parents, l’école des Frères devenue communale sera à toujours gratuite pour tous les garçons de Vauxrenard depuis l’âge de cinq ans jusqu’à quinze ans révolus, et seront réputés de la commune tous les enfants y demeurant soit comme originaire, soit comme domestique, soit comme orphelin. »
La commune gagne ainsi la gratuité de son enseignement (pour les garçons seulement) et dispose de trois cents francs de budget supplémentaire pour ses autres dépenses.
Il va sans dire que cette décision ne fut pas bien accueillie par le Sieur Antoine Daillyprécédemment instituteur en titre, et depuis sans travail et privé de ses subsides. Ce dernier tenta bien de restaurer sa fonction en proclamant son école gratuite et en faisant réclamation au conseil municipal pour le maintien de son salaire et du loyer de ses locaux. Mais il échoua et dut se soumettre à la décision municipale qui l’accusait de surcroît de vouloir nuire à l’établissement de l’école gratuite des Frères.
Concernant l’école des filles, nous enregistrons en date du 1er juin 1852, une demande de Marie Antoinette Savoye, sœur Saint-Benoît de l’ordre de Saint-Joseph, institutrice depuis 15 ans et directrice depuis le 22 octobre 1850 de l’école libre de filles de Vauxrenard, d’être légalement autorisée à tenir cet établissement. Cette autorisation lui fut accordée, institutionnalisant ainsi l’enseignement public pour les filles de la commune.
Nous noterons également cette même année, la création de la première crèche (dénommée salle d’asile), lors de la séance municipale du 11 novembre 1852 : « le conseil municipal vote l’article unique suivant : Il est utile d’établir une salle d’asile dans la commune de Vauxrenard pour les enfants des deux sexes de deux à six ans accomplis. Il regrette de ne pouvoir encourager cet établissement autrement que par ses vœux et il demande que Marie SAVOYE sœur Saint-Arthémy soit chargée de la direction de la dite salle d’asile ».
Nous relevons enfin pour cette période, la demande d’ouverture d’un pensionnat de jeunes gens par l’instituteur de l’école des garçons le 16 septembre 1860 : « Considérant que l’établissement d’un pensionnat ne peut être que très utile à la commune, que les pères de famille des hameaux les plus éloignés désirent mettre depuis longtemps leurs petits garçons en pension pendant les mauvais mois d’hiver que la rigueur de la saison empêche très souvent de ne pas aller à l’école pour ne pas exposer leur santé et peut-être leur vie en faisant six à huit kilomètres aller et retour dans la neige qui est souvent très abondante dans nos montagnes, le conseil municipal émet le vœu que le sieur Planus, instituteur communal, soit autorisé à ouvrir un pensionnat de jeunes gens à la prochaine rentrée ».
1862 : retour à l’école payante
En ce début des années 1860, la commune de VAUXRENARD est peuplée de plus de 1 000 habitants. Elle dispose de deux écoles religieuses, dont l’une pour les garçons, tenue par des frères, est sise au Pèlerin. Un pensionnat y est établi pendant la mauvaise saison pour les enfants les plus éloignés. Une centaine de garçons y sont inscrits.
Les filles disposent d’une école tenue par les religieuses de l’ordre de Saint-Joseph, dans la propriété actuelle de Monsieur et Madame Peillon. Les Sœurs tiennent également en ce lieu une crèche pour les enfants de 2 à 6 ans.
Ainsi, deux écoles accueillent les enfants de la commune. L’enseignement est dispensé par des religieux ; il est gratuit, mais facultatif. Malgré ces efforts importants, ces écoles sont malheureusement encore irrégulièrement fréquentées, surtout à la belle saison où les travaux des champs demandent plus de main-d’œuvre à la ferme. Cette situation n’est pas du tout du goût de Monsieur de Saint-Trivier, maire de la commune. Soucieux de l’élévation du niveau d’instruction du village, il supporte mal de prendre à sa charge des frais scolaires pour des cours qui ne sont pas suivis. Aussi, dans la séance mémorable du conseil municipal du 15 février 1862, décida-t-il de rendre à nouveau l’école payante, à défaut d’être obligatoire, pour motiver les parents à y envoyer leurs enfants.
« Monsieur de Saint-Trivier expose qu’en assurant au pays une rente annuelle de 400 francs et la jouissance gratuite d’une maison d’École, il a eu pour but de propager l’instruction et de fournir à la population les moyens de parvenir à un degré suffisant d’éducation morale et religieuse.
Malheureusement ses espérances ont été déçues et c’est avant tout sur les parents que doit tomber un blâme sévère. Sous le moindre prétexte et souvent sans aucun prétexte les enfants sont détournés de l’école. On les emploie aux soins intérieurs ou à la garde des animaux domestiques. Dans la plupart des ménages ils passent après les brebis et les chèvres.
L’admission à l’école étant gratuite pour tous on ne se préoccupe pas du résultat des études. Les pères n’ayant aucun sacrifice pécunier à s’imposer regardent comme autant de gagné ce que leurs fils rapportent de lecture et d’écriture au bout de l’année. Ils compromettent ainsi l’avenir de la famille de gaîté de cœur et avec la plus coupable incurie. Les enfants perdent leur temps mais pas leur argent, et au jeu des parents, c’est le point essentiel.
Ce n’est pas tout, abandonnés à eux-mêmes dans la montagne loin de toute surveillance, livrés au désœuvrement le plus complet, les enfants se rencontrent se pervertissent mutuellement et de vivants exemples ont prouvés que cette dépravation pouvait parfois aller jusqu’au crime.
Pourtant l’instruction primaire prend des développements considérables. À Vauxrenard seulement et dans quelques communes limitrophes tout demeure stationnaire et l’on se verra prochainement constitué dans un état d’infériorité humiliante.
D’un autre côté pendant la mauvaise saison alors que le froid et la neige rendent le séjour des champs impossible et que les enfants ne seraient qu’un embarras à la maison, on consent à leur laisser suivre les cours. Alors l’école est encombrée, le zèle d’un seul maître succombe sous le fardeau qui pèse sur lui. La fatigue qui lui est imposée pendant le jour ne lui permet pas d’ouvrir le soir une classe d’adultes. Il faut donc que la tâche soit divisée.
Un pareil état de classe est épouvantable et doit cesser à tout prix. Monsieur le Maire est toujours disposé à s’imposer les sacrifices que lui coûte l’instruction de la commune, mais il n’entend pas le faire en pure perte et propose d’apporter au règlement actuel les modifications suivantes :
1 – il continuera l’abandon de la somme annuelle de 400 francs et la jouissance gratuite de l’école. Il réserve de faire régulariser cette libéralité par acte public avec clause expresse de retour au donateur ou à sa famille dans le cas où l’établissement cesserait d’être dirigé par des religieux appartenant au culte catholique,
2 – chaque élève paiera la rétribution fixée par le conseil municipal et approuvée par l’académie de Lyon. Les indigents seuls suivront gratuitement les cours. Toute fois le donateur se réservera le droit de faire admettre un certain nombre d’enfants également à titre gratuit.
3 – chaque année le conseil votera les fonds nécessaires pour compléter le traitement de l’instituteur et celui d’un Frère qui devra lui être adjoint.
Ces mesures auront pour effet d’assurer à chaque élève des sons incessants et une éducation plus satisfaisante. En outre un cours ouvert chaque soir pendant l’hiver permettra aux adultes d’acquérir un complément d’instruction qu’un grand nombre d’entre eux sollicite. En terminant, Monsieur le Maire rappelle au conseil que les améliorations indiquées ci-dessus sont formellement demandées par les autorités supérieures… »
Daniel Mathieu, 1997