1793 : la fin de l’ancien régime à Vauxrenard…
Il y a tout juste deux siècles, le 21 janvier 1793, Louis XVI, roi des Français mourait sur l’échafaud. Cet acte marquait la rupture définitive entre le peuple français et l’ancien régime, quatre années seulement après cet autre acte symbolique, celui de la prise de la Bastille, le 14 juillet 1789.
Essayons de faire un saut dans le passé pour revenir deux siècles en arrière, dans cette période la plus mouvementée de notre histoire contemporaine. Les registres de la commune de Vauxrenard ne commençant qu’en 1808, sous le consulat de Napoléon Bonaparte, ce n’est donc pas dans ces documents que l’on trouvera les éléments d’information que nous cherchons. C’est dommage, car les cahiers de doléances, rédigés à l’occasion de la convocation des états généraux (5 mai 1789), contenaient une foule de renseignements précieux sur l’état du pays à cette époque. Aussi, c’est à partir d’un manuscrit rédigé en 1890 par un certain François Perraud, qui relatait les propos de son grand-père, Étienne Perraud (1765-1836), qui vécut sous la révolution, que j’ai pu consigner les renseignements suivants.
Tout d’abord, un petit rappel historique sur l’état de la France à cette époque. À la fin de ce XVIIIème siècle, la France est gouvernée par une monarchie centralisée dont l’administration est complexe et manque d’unité. Le peuple français se composait alors de trois ordres : le Clergé, la Noblesse et le Tiers État. Sur les 26 millions d’habitants de l’époque, 25 millions et demi composent le Tiers-État, 400 000 la Noblesse et 110 000 le Clergé. Près de 90 % du peuple vit de l’agriculture. La plupart des paysans ne possèdent pas de terre, ils sont fermiers (grangers ou laboureurs), métayers ou journaliers (manouvriers). Les impôts sont lourds et inégalement répartis : la noblesse et le clergé, bien que disposant de la plus grande partie des richesses, en sont exemptés. Par contre paysans et artisans doivent au roi des impôts directs (taille, capitation, vingtième) et indirects (gabelle, aides) ; ils sont seuls astreints au service militaire et à la corvée royale ; ils doivent au curé la dîme et au seigneur les droits féodaux.
Malgré la découverte récente de nouvelles races de moutons (mérinos) et l’introduction du navet, du maïs, de la pomme de terre, l’agriculture et l’élevage sont de faible rendement. Dans les bonnes années, la production suffit à peine à nourrir la population. Heureusement pour les paysans, les communaux sont très étendus. Le pauvre y trouve le bois pour se chauffer, peut glaner après la moisson et y faire paître ses bêtes. Mais en cette année de 1788 les récoltes sont désastreuses et les prix flambent. Début 1789 des révoltes éclatent à PARIS, des soulèvements ont lieu en province. C’est le début de la Grande Révolution. Mais donnons maintenant la parole à Étienne PERRAUD qui habitait alors la Chapelle-de-Guinchay.
« En juillet 1789 des bandes de paysans révoltés, montant quelque fois à plus de 1 000 personnes, se distribuaient les campagnes du Mâconnais et dans l’espace de 4 ou 5 jours près de 120 maisons bourgeoises ou châteaux furent incendiés, démolis, ou pillés. La révolte avait commencé à Igé. Tous les papiers des justices seigneuriales des châteaux de La Roche à Jullié, Juliénas, et du Thil à Vauxrenard furent brûlés. Le château du Thil fut même au trois-quarts incendié. À Saint-Amour une bande envahissait le château et versait les sacs de blé du haut des fenêtres. À la Chapelle une bande venue de Saint-Amour, les Charvet en tête, m’a dit le fils d’un témoin, forçait la grille du Château des Chartreux de Loyse et faisait fuir devant leurs menaces les deux frères régisseurs. Depuis 1700 les religieux n’habitaient plus leur château et n’y étaient représentés que par les deux chartreux dont nous venons de parler. Ces chartreux passaient pour forts riches aux yeux des habitants du pays : lorsque les grangers, dit-on, venaient apporter l’argent cet argent était pris et jeté de côté comme une vraie bagatelle ».
« À la vue du péril dans le Mâconnais, la petite noblesse et la bourgeoisie constituèrent des comités indépendants du pouvoir central, installèrent des tribunaux et organisèrent une milice bourgeoise qui dispersa, non sans grande effusion de sang ces bandes de révoltés à peu près sans armes et sans organisation, puis une trentaine des plus coupables furent condamnés et exécutés le même jour ».
« Le 14 juillet 1790, pour célébrer l’anniversaire de la liberté on avait installé à Chénas, sur la montagne de Rémont, au lieu-dit les Chênes, un autel à quatre faces sur lequel furent dites quatre messes à la fois vers les 11 heures 45. Six mille personnes y assistèrent, l’on dansa, l’on se donna l’accolade, des discours furent prononcés et une adresse fut envoyée à l’assemblée nationale ».
Cette même année, le clergé se voit voter une constitution civile, par laquelle les prêtres devaient notamment prêter serment devant l’assemblée constituante. Ceux qui refusèrent furent dénommés « réfractaires » et poursuivis devant la loi.
« Pendant cette tourmente révolutionnaire, mon aïeul qui avait été élevé dans les sentiments religieux conservait intact toute l’ardeur de sa foi. Ni les faiblesses de certains prêtres qu’il avait sous les yeux, ni l’acharnement de dénigration qui s’accumulait de toute part contre la religion ne l’ébranlèrent un seul instant. Tous les samedis soir il partait pour entendre la messe d’un prêtre orthodoxe (c’est-à-dire réfractaire) à Jullié, Cenves, Vauxrenard, Ouroux ou ailleurs. La messe ne se disait jamais deux dimanches de suite au même lieu et au sortir de l’une l’on indiquait où se dirait la prochaine. Dans ces montagnes, beaucoup de maisons avaient des asiles cachés pour recevoir des prêtres, aussi un grand nombre d’entre eux y traversa les temps orageux de la révolution. »
Pour finir, relatons une anecdote succulente de cet aïeul, décidément peu enclin aux idées révolutionnaires.
« Lorsqu’il se rendait à Mâcon, en passant aux barrières il fallait avoir la cocarde tricolore au chapeau. Mon aïeul, trop franc pour dissimuler ses opinions ayant omis de le faire, un employé des barrières l’obligea d’en accepter une au prix de cinq ou six sous et de la placer à son tricorne. Comme cet employé avait agi avec une certaine rudesse, mon aïeul retint son nom et lui envoya une lettre non affranchie pour annuler les bénéfices de sa cocarde, sans compter qu’après lorsqu’il passait aux barrières, il avait toujours soin de placer la cocarde du côté du tricorne opposé à l’employé de façon à obliger celui-ci à faire le tour pour vérifier »
Daniel Mathieu, 1997