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Au tout début…
Il y a deux siècles seulement, les chemins de Vauxrenard n’avaient ni le tracé ni l’allure de nos routes actuelles. La vallée du Sieur Regnard (Vallis Regnardi), comme on l’appelait jadis, naturellement orientée vers l’est trouvait son accès initial par la vallée de la Saône en remontant le ruisseau « la mauvaise ».
Les traces préhistoriques retrouvées sur le plateau des Chizeaux et près de la Roche au Loup, attestent de l’occupation très ancienne de Vauxrenard. Au début de notre ère, l’invasion romaine laissa apparemment le village à l’écart de la grande voie qui reliait Lugdunum (Lyon) à Autun et qui passait par Avenas, Ouroux et Saint-Jacques. La circulation s’établissait alors à partir de la vallée de la Saône, du port au nom évocateur de Saint-Romain, pour remonter la vallée de la Mauvaise.
Transporter le vin
Le commerce du vin, qui prit de l’importance à partir du XVIIème siècle, s’effectuait en direction de Lyon par ce même port de Saint-Romain et en direction de Dijon et Paris par la route de Diane qui reliait Juliénas à Saint-Jacques-des-Arêts en direction de la Vallée de la Grosne.
Ainsi, l’ouverture très utilisée aujourd’hui en direction de Belleville et Beaujeu, est-elle d’usage relativement récent, comme en atteste cette contestation de contribution émise par le conseil municipal de Vauxrenard du Premier novembre 1808 :
« … nous membres du conseil municipal avons pris connaissance dudit arrêté relatif à des réparations à faire à la route de la Saône à la Loire par Belleville et Beaujeu et a voté pour les frais d’icelle une contribution extraordinaire et prendre une délibération à cet égard ; lesquels après avoir pris lecture des arrêtés ont déclaré unanimement que, quel que fut l’utilité de réparer cette route, il était de leur sagesse de ne prendre aucune détermination sur les objets dont il s’agit, qu’elle ne leur était d’aucun avantage en étant éloigné de quatre lieues ; que la route de leurs vins est ordinairement à la Saône par le port de Saint-Romain, qu’il était rare quand c’était celle de la Serve (sur la) commune d’Ouroux ; que leur commune étant assise sur un sol très aride, les habitants n’étaient pas à leur aise ; qu’ils payaient des contributions directes et indirectes au-delà de leurs forces, qu’ils étaient souvent à la gêne par la vente tardive de leurs vins, qu’avant l’établissement de la route dont il est question, il y avait celle de Diane (commune de Saint-Jacques), allant au port de Digoin qui leur procurait le charroi de tous les vins. Lesdits membres sont de plus persuadés qu’ayant entendu dire que la création d’une partie des droits réunis ayant pour base la réparation des grandes routes quelconques, M. le Préfet du département y regardera plus amplement avant d’établir une surcharge de contribution en ce genre, pourquoi ils refusent formellement de prendre part audit arrêté et dont nous avons rédigé acte. Signé : Burgaud, Frachet, Faudon, Mélinand, Bleton, Perraud, Métrat, Gauthier, Savoie, Delaroche Grobois. » le 1er novembre 1808.
Un autre document, plus ancien encore, nous confirme l’importance de ce « chemin de Dyane », comme route d’accès vers les pays de Loire pour le transport du vin. Cette voie comportait un péage permettant de lever une taxe sur le charroi des marchandises :
« Le 10 octobre on voit les habitants de Vauxrenard faire rédiger par Philibert Perraud, notaire d’Émeringes, une requête en faveur du maintien du droit de péage de Dyane, car, expliquent-ils, il y a 50 à 60 ans le grand chemin de Jullié à Germolles était ruiné et impraticable et que les Delaroche de Jullié (qui affermaient le péage) l’avaient réparé sur une grande lieue de longueur et cela sur la plainte des habitants des localités voisines qui ne pouvaient avoir facilement le débit de leur vin et de leurs denrées à cause de la difficulté des transports. Depuis le chemin a toujours été praticable. En outre les Delaroche ont dû construire de grands bâtiments à Dyane qui est un dépôt entièrement nécessaire dans la montagne où il n’y a aucune maison afin de protéger non seulement les denrées mais encore les marchands et leurs bestiaux. Les habitants des localités voisines ont toujours été contents de ce droit à cause de l’avantage de commodité et de sûreté qu’ils en ont reçu, sans compter que les bouviers qui font les voitures des denrées y gagnent de l’argent pour vivre. Le transport des vins exige deux charrois : le premier des localités jusqu’à Dyane et le deuxième de Dyane au dépôt de l’Etoulle, et ainsi d’un dépôt à l’autre, jusqu’au port de Digoin sur la Loire. » le 10 octobre 1706.
L’entretien des anciens chemins
Avant la révolution, le chemin principal traversant Vauxrenard était constitué par la montée derrière l’église qui reliait la « Charrière » en provenance d’Émeringes aux chemins de Fleurie, de Chiroubles et d’Avenas par Vareille et d’Ouroux par la croix de Vernay-Bois. Ces chemins, non empierrés, étaient souvent en très mauvais état. Leur entretien était à la charge des habitants et constituait déjà une préoccupation permanente du conseil municipal. En témoigne cet arrêté municipal de 1809 :
« … nous, membres du conseil municipal avons été d’avis conjointement avec le maire de faire réparer de suite les chemins en commençant par ceux qui vont du bourg à la commune d’Émeringes par la gauche et par la droite, à celle de Fleury et ensuite par ceux de Chiroubles et d’Avenas et enfin du Bourg au chemin d’Ouroux ; mais pour qu’aucun habitant propriétaire, domicilié ou forain, n’y mette plus de retard, nous avons fait un rôle autorisé par arrêté et avons déterminé à deux francs les journées à bras et à quatre francs les journées à voiture et avons imposé les particuliers en état de le faire ou de payer lesdites journées s’ils s’y refusaient. Le nombre des journées à bras est de 746 et celui des journées à voiture est de 126. Lesdits nombres ne sont pas considérables et nous les reporteront une autre année s’il le faut, jusqu’au parfait établissement desdits chemins vicinaux« . Le 1er décembre 1809.
En 1811, deux ans plus tard, il s’avère que l’effort de restauration est insuffisant et qu’il faut le porter à 1 566 journées à bras et 270 journées à voiture. Vauxrenard comptant à cette époque environ deux cents familles, cela faisait en moyenne 9 journées de travail par famille et par an, soit l’équivalent de 6 cantonniers à plein-temps !
Parfois ces travaux d’entretien étaient confiés aux pauvres de la commune dans le cadre d’un atelier de charité : « en nommant tous les jours les ouvriers de la classe des pauvres valides pour faire lesdites réparations aux chemins vicinaux, à la tête desquels on en mettrait un plus entendu pour les commander… » le 21 juin 1817. Ceux qui y travaillaient étaient rémunérés 1,35 franc par jour, l’argent étant prélevé sur le budget de la commune.
En dehors des routes principales dont nous venons de parler, il existait sur Vauxrenard une multitude de petits chemins qui serpentaient le long des collines pour rejoindre les champs et les vignes. Nous imaginons mal le paysage à cette époque, où plus de 1 600 hectares sur les 1 900 de la commune étaient cultivés ou mis en pâturage. Il ne nous reste de ce temps-là que les ruines encore nombreuses dans nos bois des murets en pierres, tirées des champs et rejetées en bordure des chemins, ainsi que les reliques des gros châtaigniers qui maillaient le paysage de leurs énormes houppiers, fournissant ombre aux bestiaux et châtaignes aux hommes.
Importance des haies
Ces chemins creux étaient alors tous bordés de haies et de talus les séparant des champs environnants. Comme nous pouvons le constater sur les photos aériennes de l’Institut Géographique National, ces haies et leurs arbres creux sont actuellement en forte régression. Il s’agit là d’une perte inestimable, qui ne se comptabilise pas directement, mais dont la valeur est réelle : refuge du gibier et de la faune sauvage, lutte contre le vent, l’érosion et les dégâts des eaux, délimitation des parcelles mais également incomparable valeur esthétique d’un paysage à l’allure bocagère.
Les textes anciens témoignent de l’importance accordée jadis aux arbres et aux haies, comme ces dispositions très sévères prises par le conseil municipal en 1820 à l’encontre des conducteurs de boucs et de chèvres :
« Considérant que les boucs et chèvres ont la dent très dangereuse soit sur l’herbe qu’ils broutent soit sur les haies et les arbres qu’ils atteignent et que cette vérité est si constante, que par arrêté de la cour de cassation du 16 octobre 1807 elle a déclaré qu’avec la permission même des propriétaires, on ne pourrait pas faire paître les animaux dans les bois,
Considérant que l’article 18 de la loi du 6 octobre 1791 veut que les propriétaires des boucs et chèvres ne puissent les mener aux champs qu’attachés sous peine d’une amende de la valeur d’une journée de travail par tête d’animal,
Considérant que lorsqu’elles auront fait du dommage aux arbres fruitiers, ou autres haies, vignes jardins, l’amende soit doublée sans préjudice du dédommagement des propriétaires,
Considérant que conformément à la loi du 23 Thermidor an IV, les animaux de cette espèce ne doivent sortir qu’en laisse, de n’approcher des haies et des arbres sous peine d’encourir une amende de la valeur de trois journées de travail,
Considérant que la désobéissance ou contravention aux règlements et arrêtés des autorités administratives est punie d’une amende d’un franc à cinq francs au profit de la commune, et qu’en cas de récidive la peine d’emprisonnement doit toujours avoir lieu pendant trois jours au plus,
Arrêtons ce qui suit : les propriétaires des boucs et chèvres ne pourront les mener dans les champs particuliers qu’en laisse en ne les laissant point approcher des haies et des arbres sous peine d’encourir une amende de trois journées de travail. Indépendamment du dédommagement dû aux propriétaires des fonds auxquels les chèvres auront nui, les possesseurs de ces animaux, pour avoir contrevenu à la présente ordonnance seront condamnés à l’amende au profit de la commune d’un franc à cinq francs et en cas de récidive, la peine d’emprisonnement pendant trois jours au plus aura toujours lieu. » le 30 mai 1820.
Nous savons qu’à cette époque il y avait environ 200 chèvres, 380 bovins et près de 700 moutons à Vauxrenard, pour 520 ha de pâturages et des centaines de km de haies et de chemins.
À notre époque, l’élevage ne constitue plus une activité importante, mais tout comme nos anciennes maisons ou notre église millénaire, nos vieux chemins, leurs haies et leurs arbres creux constituent un patrimoine historique à préserver et à faire découvrir.
Daniel Mathieu, 2005