Plusieurs personnes ont interpelé notre collectif afin d’être informées sur les modalités et les conséquences de l’exploitation de la forêt sur la commune de Vauxrenard. Ces interrogations concernaient notamment la coupe à blanc de la forêt aux lieux dits : le Tronc et Pierre Bully, au dessus du village. Nous avons donc enquêté en faisant le tour des différentes parties prenantes et avons ensuite complété nos informations auprès des professionnels de la forêt.
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Le chantier
À l’origine, c’est la société Leroy Expertise (71520 Montagny-sur-Grosne), spécialisée dans le commerce du bois sur pieds, qui a été contactée pour exploiter des parcelles forestières en vue de leur plantation en résineux. La société, après s’être rendue sur les lieux, a contacté tous les propriétaires voisins en leur proposant d’exploiter en même temps leurs parcelles proches. Une surface plus grande à traiter d’un seul tenant améliore l’intérêt et la rentabilité de l’opération pour l’entreprise. Les autres propriétaires n’ayant, a priori, pas l’intention de replanter en résineux…
Sur l’ensemble de la surface entre Le Tronc et Pierre Bully, 14 propriétaires ont accepté l’exploitation de leurs bois pour un tènement total d’une contenance d’un peu plus de 12 ha. Le bois est traité en coupe rase sur l’ensemble de la surface. Il est destiné à faire du bois énergie (3300 m3), avec quelques fûts exploités pour faire du bois d’œuvre (700 m3).
Aucune alternative n’a été proposée aux propriétaires pour exploiter différemment ces parcelles (coupes partielles, coupe en amélioration vers une futaie mixte, taillis sous futaie, etc.) Selon nos interlocuteurs, la société Leroy Expertise ne met pas en priorité les modalités d’exploitation forestière les plus favorables à l’environnement…
Suite à un appel d’offres, c’est la société Blanc Garret Bois (71260 Saint-Gengoux-de-Scisse) qui a remporté le marché lors d’une vente groupée au plus offrant par Leroy Entreprise, sans que l’on ne connaisse les termes de ce contrat de vente global. Seuls sont connus les contrats individuels passés ultérieurement entre les proriétaires et Blanc Garret Bois.
La société Blanc Garret Bois a confié l’exploitation du chantier à deux sous-traitants : la société Loiret-Forestière (45200 Montargis) chargée de l’abattage et la société SARL EFHN (69 Saint-Martin-en-Haut) pour le débardage qui se fera au mois de mai 2020.
A noter que Leroy Expertise n’est pas la seule à faire ce type démarchage en invitant les propriétaires à vendre le bois de leurs parcelles de taillis pour faire des rondins ou des plaquettes. C’est notamment le cas de la société Eau Énergie de Saint-Igny-de-Vers qui a transformé en copeaux 10,5 ha de taillis sur la route de Montgoury au Fût d’Avenas.
Problèmes soulevés par cette coupe rase
Ils sont de deux ordres : ceux liés à l’exploitation et ses conséquences directes au niveau du village, ceux, plus généraux soulevés par le mode d’exploitation en coupe rase qui a été proposé aux propriétaires.
Impact local de ce chantier
- Impact sur les chemins de randonnées : plusieurs chemins ruraux sont indiqués sur le cadastre, dans / où autour des parcelles en exploitation. Plusieurs d’entre eux étaient jadis entretenus comme circuits pédestres par l’association En Pays Varnaudis. Notamment l’ancienne voie romaine dénommé « chemin des dalles ». Le Collectif de la Pierre de Saint Martin envisageant de réhabiliter ces chemins dans un proche avenir, il convient que l’exploitant du chantier forestier veille à les restituer dans un état utilisable par des marcheurs. Le contact a été pris avec l’exploitant Blanc Garret Bois pour qu’il en soit ainsi. Il faudra y veiller au moment où le débardeur interviendra pour enlever le bois. Blanc Garret Bois étant labellisé PEFC (voir ci-dessous) il est tenu de vérifier que le chantier soit remis correctement en état après son exploitation. Il s’est d’ailleurs engagé à nous avertir quand débuteront les travaux de débardage, il nous faudra donc aller vérifier sur place à ce moment là.
- Impact sur le sol : l’engin chargé de retirer le bois des parcelles pèse 30 tonnes en charge. Il se déplace sur 8 roues qui creusent de profonds sillons dans le sol pour aller chercher le bois et l’amener au quai de chargement. Les 4 000 tonnes de bois à évacuer (3.300 stères de bois de brûlage et 744 m3 de grumes) impliquent de très nombreux déplacements sur le terrain. Les passages en montée et descente créent de profondes ornières empruntées par l’eau de pluie qui ravine la forêt et lessive le sol. Même si le sol n’est pas raviné, il est fortement impacté par le tassement dû au poids de l’engin ce qui le rend impropre à la régénération forestière.
- Impact sur la forêt : la suppression de l’ambiance forestière liée à la coupe à blanc sur une grande surface modifie profondément le microclimat local. Il s’en suit un asséchement du sol et une dégradation de l’humus forestier exposé au vent et au soleil qui rend extrêmement difficile la régénération naturelle de la forêt. Celle ci devra passer par des stades intermédiaires de colonisation par les ronces et genêts, puis par des espèces pionnières non exploitables (sureau, noisetier, saule, merisier, acacia…) avant que des arbres d’avenir puisent émerger (chênes, hêtres, charmes, frênes, douglas…). Les rejets de souche formant taillis émergeront les premiers, mais sans valeur, car en bouquets serrés sur les bases des arbres coupés, soumis au stress du climat, ne donneront jamais de beaux arbres. Une forêt massacrée pour plusieures dizaines d’années pour produire du bois à bas prix !
- Impact sur la faune : les sangliers, très présents sur la commune de Vauxrenard, vont pouvoir profiter d’un havre de paix impénétrable pendant quelques années sur une surface importante à proximité du village. En effet, avant que la forêt ne repousse il y aura une période où les 10 ha en coupe à blanc seront fortement embroussaillés si aucun entretien n’est envisagé. Certains posent la question de savoir si cela aura un impact sur la recrudescence des sangliers ? Interrogée à ce sujet, la société de chasse de Vauxrenard confirme qu’un biotope de friches et broussailles sera propice au gibier, comme les nombreuses autres friches de la commune. Concernant les sangliers le rétablissement et l’entretien des chemins (chemin des Dalles et chemin de Pierre Bully) divisant les parcelles facilitera cependant les actions de chasse en rendant les taillis accessibles par carrés. Ce peut être l’occasion pour le collectif de proposer une action commune avec la société de chasse pour rétablir une continuité de chemins depuis le bourg jusqu’à la pépinière, via le Chatelard et Pierre Bully, et même rejoindre le chemin du plateau de Montgoury à la Croix de Porte ? Une balade alternative complémentaire de nos chemins actuels.
- Un aspect positif concerne les apiculteurs qui verront ces parcelles embroussaillées se couvrir de fleurs pendant une année ou deux au bénéfice des abeilles…
Impacts au niveau global du mode d’exploitation des parcelles
Les autres problèmes concernent le mode d’exploitation retenu pour ces 10 ha contigus. Ces problèmes ont notamment été abordés par les intervenants[1] lors du débat qui a suivi projection du film « Demain, la Forêt » organisée par le Collectif de la Pierre de saint Martin le 13 février dernier.
- Coupe rase : cette pratique est généralement condamnée par les experts forestiers soucieux du devenir de la forêt et de l’environnement. Cette pratique bouleverse considérablement le milieu forestier. La forêt abattue relargue une partie importante du carbone stocké dans le sol (racines et litière contiennent plus de carbone que la partie aérienne des arbres !). Elle n’est recommandée que dans des cas exceptionnels : chablis créés lors d’une tempête, reconversion d’une parcelle, etc. Elle permet de « faire du cash financier rapidement » en exportant la totalité du bois, mais au détriment du devenir de la forêt et de l’environnement. L’alternative est une coupe d’éclaircie (20 % à 30 %), renouvelée régulièrement tous les 5 à 10 ans qui permet de maintenir le couvert forestier. Elle améliore la valeur foncière du terrain en privilégiant les arbres de belle venue pour faire du bois d’œuvre de meilleure qualité. Elle permet d’accroître le stockage du carbone sur pied, de réduire l’impact sur le climat et de rendre la forêt plus résiliente face aux aléas climatiques (sécheresse, tempêtes).
- Exploitation des taillis : un taillis est une forêt en devenir. Exploité trop jeune, on récolte peu de bois et on retarde considérablement sa capacité à stocker à nouveau du carbone. L’exportation des bois jeunes entraîne une perte importante d’éléments minéraux qui ralentit la reconstitution du couvert forestier.
- Le bois énergie : il est considéré « officiellement » comme une source d’énergie renouvelable décarbonée et son utilisation est fortement encouragée par certains milieux et par l’Etat… En fait, cette qualification est trompeuse ! Il faut 30 à 40 ans pour reconstituer le stock de carbone qui est retourné à l’état de CO2 par la combustion du bois. Or les échéances pour ralentir le réchauffement climatique selon le dernier rapport du Giec sont de l’ordre de 10 à 20 ans. De ce fait le bois énergie est une source nette et immédiate de production de gaz à effet de serre, au même titre que le pétrole, et doit donc être mobilisé de façon très parcimonieuse et intelligente : chablis[2], grosses branches non utilisées en bois d’œuvre, éclaircies en amélioration de taillis et taillis sous futaie, conversion en futaie plantée, etc. En tout état de cause, des coupes à blanc sur de grandes surface, uniquement pour récupérer du bois énergie, sont à proscrire, car néfastes l’environnement.
- Plantations mono spécifiques de Douglas : la mode depuis plusieurs dizaines d’années est à la conversion de taillis feuillus en plantations mono spécifique de Douglas. Aujourd’hui beaucoup de forestiers s’accordent pour reconnaître qu’il s’agit d’une erreur et d’un pari risqué sur l’avenir. D’une part ces plantations n’ont de forêt que le nom, la biodiversité qu’elles hébergent y est extrêmement faible, d’autre part, compte tenu des changements climatiques en cours rien ne garanti que ces enrésinements, fragiles car ne comportant qu’une seule essence, résisteront aux sécheresses et tempêtes à venir. Les recommandations des spécialistes orientent les forestiers vers des plantations mixtes feuillus et résineux en privilégiant par anticipation des espèces plus tolérantes à la sécheresse comme le cèdre, le pin laricio ou le chêne rouge en accompagnement du douglas.
Autres éléments d’information
En termes de réglementation dans le Rhône
Tout propriétaire qui souhaite exploiter une futaie d’une surface supérieure ou égale à 4 ha en coupe à blanc est tenu de déclarer le chantier auprès des services forestiers de la préfecture. Cette obligation ne s’applique pas aux parcelles de taillis (caractérisées par des tiges provenant de rejets sur souche, mêmes anciennes). Elle peut toutefois s’appliquer à un taillis sous futaie comportant des arbres de plus grande dimension en quantité non négligeable. Cette obligation ne s’applique pas non plus à une coupe à blanc de plusieurs parcelles contiguës appartenant à des propriétaires différents dont aucun ne possède plus de 4 ha contigus. Si la coupe à blanc concerne une futaie de plus de 1 ha, le propriétaire est tenu de restaurer un couvert forestier dans les 5 ans suivant, soit par plantation, soit par régénération naturelle (taillis).
Plan simple de gestion
Afin de gérer correctement une forêt il est conseillé d’établir un « plan simple de gestion » sur une vingtaine d’années. Le plan simple de gestion (PSG) est un outil pratique pour :
- mieux connaître son bois ou sa forêt,
- définir des objectifs et faciliter les choix et décisions à prendre,
- prévoir un programme précis de coupes et travaux,
- établir un bilan périodique,
- intéresser ses héritiers au patrimoine forestier familial.
Ce document constitue ainsi la « mémoire » de la forêt. Sa réalisation est aussi pour le propriétaire l’occasion d’échanger avec des professionnels de la forêt. Un plan simple de gestion est « obligatoire » :
- pour toutes les forêts privées d’une surface supérieure ou égale à 25 ha d’un seul tenant,
- pour tout ensemble de parcelles forestières appartenant à un même propriétaire, constituant au total une surface supérieure ou égale à 25 ha, en prenant en compte tous les îlots de plus de 4 ha situés sur la commune de l’îlot le plus grand et sur les communes contiguës à celle-ci.
Un PSG « facultatif » peut être réalisé pour les propriétés non soumises à PSG obligatoire :
- d’une surface totale d’au moins 10 ha,
- d’un seul tenant ou non,
- situées sur une même commune ou sur des communes contiguës.
Enfin, il est possible de présenter un plan simple de gestion en commun, avec plusieurs propriétaires voisins. Des aides régionales sont attribuées pour aider les propriétaires à faire établir leur PSG par un expert forestier. Le Centre Régional de la Propriété Forestière (CRPF) accompagne efficacement les propriétaires qui envisagent la mise en place d’un PSG sur leurs parcelles.
Certification forestière PEFC
Afin de promouvoir une gestion durable de la forêt, les propriétaires et les exploitant forestiers sont invités à faire certifier leur démarche. Plusieurs schémas de certification sont envisageables. En France c’est PEFC qui est le plus largement développé. Cette démarche accompagne l’exploitation de la forêt depuis son mode de gestion jusqu’à l’utilisation finale du bois.
Elle prend en compte trois dimensions importantes :
- la dimension sociétale de la forêt. PEFC contribue à protéger ceux qui vivent dans les forêts, y travaillent et s’y promènent,
- la dimension environnementale de la forêt, de plus en plus prégnante avec une biodiversité qui s’érode et la nécessité de capter de plus en plus de carbone,
- la dimension économique, enfin, par sa fonction de production avec les demandes en bois-matériau et en bois source d’énergie qui vont croissantes, PEFC participe à une gestion raisonnée de la ressource bois.
Mais les niveaux d’exigences sont très faibles et ne vont pas beaucoup au-delà de la réglementation. Notamment PEFC accepte les coupes rases qui respectent simplement la réglementation, ce qui est insuffisant pour protéger la forêt en garantissant une gestion durable, favorable à l’environnement.
Cette certification est de plus en plus souvent exigée par les acheteurs de bois qui la mettent en avant dans la chaîne de valeur qui va de la forêt à l’utilisation finale du bois. Elle accompagne très souvent la mise en place d’un plan de gestion. Elle est renouvelable tous les 5 ans.
En France 70 000 propriétaires forestiers et 3 000 entreprises sont certifiés PEFC.
Le Groupement Forestier Familial (GFF)
Lorsque, suite à une succession, plusieurs personnes se trouvent propriétaires de parcelles forestières en indivision, se pose le problème de la pérennité de cette propriété attachée aux personnes physiques. Elle est notamment problématique en cas d’héritages successifs et explique le très grand morcellement de la forêt privée française dont de très nombreuses parcelles ont une superficie inférieure à 1 hectare.
Une façon simple de résoudre ce problème est de créer un Groupement Forestier Familial (GFF). Ce statut juridique attribue une personnalité morale aux parcelles concernées. Elle est administrée par le groupement des associés (les propriétaires) qui désignent en leur sein un gérant.
La propriété foncière devient ainsi une entité juridique autonome dont chaque associé (propriétaire) est titulaire de parts sociales qu’il peut céder à ses héritiers, voire les vendre à des tierces personnes (sous certaines conditions).
La forêt concernée garde ainsi son identité, indépendamment des propriétaires successifs qui peuvent s’échanger des parts sociales. On assure ainsi la pérennité du bien pour lequel il devient facile de mettre en place un Plan Simple de Gestion et une certification.
Ce mode de gestion est vivement encouragé par les organismes professionnels forestiers qui y voient une façon rationnelle de lutter contre l’émiettement excessif de la forêt privée permettant ainsi d’en améliorer la gestion.
Ressources
- CRPF: Xavier Salembier (Col de Crie, Monsols), Bureau : 04.74.04.74.43 Portable : 06.99.26.12.73 Mail : salembier@cnpf.fr
- Fibois 69, Interprofession Forêt-Bois du Rhône : Kévin Bazile, (210 Boulevard Vermorel – 69400 Villefranche sur Saône), Bureau : 04 74 67 21 93, Mail : contact@fibois69.org
- PEFC Rhône-Alpes : Emeric BIGOT (Parc de Crécy, 18 Avenue du Général de Gaulle, 69 771 Saint-Didier-au-Mont). Bureau Tél : 04 72 53 64 84. Mail : rhonealpes@pefcaura.com
- Expert Forestier – membre ProSilva : Jean-Loup Bugnot (90 rue du Stand 01000 Bourg en Bresse) Bureau : 04 74 24 07 42, Portable : 06 85 02 77 32 Mail : jean-loup.bugnot@wanadoo.fr
- Gaëtan du Bus de Warnaffe, Sylvain Angerand. Janvier 2020. Gestion forestière et changement climatique. Une nouvelle approche de la stratégie nationale d’atténuation.
- Jérôme Chave (directeur de recherche au CNRS). Janvier 2019. La forêt : une véritable alliée dans la lutte contre le réchauffement climatique ?
Le collectif de la Pierre de Saint Martin, avril 2020
[1] Jean-Loup Bugnot (expert forestier, Bourg-en-Bresse) – Kévin Bazile (Fibois 69, Interprofession Forêt-Bois du Rhône) – Xavier Salembier (CRPF, Col de Crie)
[2] Chablis : un chablis est un ensemble d’arbres renversés, le plus souvent par des vents violents